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Chapitre
I : un contexte socio-politique et économique
sinueux
Au XIXe siècle,
c'est par l'industrie textile et ses
activités dérivées, la chimie, le
papier peint, la construction mécanique
et le dessin avec la lithographie et la
photographie que Mulhouse et la
Haute-Alsace affirment leur suprématie.
11.
Une puissante mais vulnérable industrie
textile
En dépit des
inconvénients que présentaient Mulhouse
et sa région à l'époque, à savoir une
main-d'œuvre peu formée, un manque de
tradition locale, des matières premières
lointaines, des débouchés locaux
insuffisants, la réussite de l'industrie
textile est due à des hommes au dynamisme
extraordinaire.
Une croissance
fulgurante
Tout le monde
connaît l'histoire des trois jeunes
pionniers qui sont, en 1747, à l'origine
de l'industrie textile de Mulhouse. Samuel
KOECHLIN à 27 ans, Jean-Henri DOLLFUS à
22 ans et Jean-Jacques SCHMALTZER à 25
ans, tous apparentés à la bourgeoisie
dominante, créent la première
"indiennerie", une usine
d'impression sur tissus de coton, rue de
la Loi à Mulhouse. Notre ville compte
alors quelque 4000 habitants. Ces familles
disposant des plus grandes fortunes
mulhousiennes, nos jeunes patrons
obtiennent durant les sept premières années
des avances de 31.000 Livres tournois.
Jean-Henri DOLLFUS étant le fils du
bourgmestre, le Conseil proclame
l'indiennage "art libre", indépendant
des corporations, ce qui dispense nos
entrepreneurs de payer la taxe du
Pfundzoll durant deux ans, puis uniquement
une taxe forfaitaire annuelle de 500
Livres tournois. Quant à la main-d'oeuvre
spécialisée, dessinateurs, graveurs,
imprimeurs, etc., ils la font venir de
Neuchâtel en Suisse, plus tard d'autres régions,
notamment du pays (protestant) de Montbéliard.
Le nombre de
manufactures d'impression augmente régulièrement,
à raison d'une tous les deux ans en
moyenne, pour atteindre, 40 ans plus tard,
19 imprimeurs avec 794 tables à imprimer
sur un total de 26 fabricants de coton. Déjà
deux ans après le lancement, le total des
ventes se chiffre à près de 100.000
Livres tournois et en 1756 Mulhouse
produit 30.000 pièces de tissus imprimé,
soit 540.000 mètres. Avec la levée de la
prohibition en septembre 1759, l'essor se
confirme et s'accélère. Les grandes
fortunes (plus de 30.000 Livres)
grossissent. Si avant l'indiennage, elles
représentent, selon OBERLÉ, 41,4 % de la
masse successorale, elles atteignent vers
la fin du siècle 72,5 % de la valeur
totale des successions.
Mais la
jalousie des autres villes haut-rhinoises
et des anciennes provinces françaises ne
tardent pas à se manifester, tant au
niveau des barrières douanières et des
taxes que du trafic postal considérablement
accru. Vers la fin du XVIIIe siècle, la
conjoncture s'annonce mauvaise, les récoltes
désastreuses. La Révolution est à nos
portes, l'intégration de Mulhouse à la
France imminente. Une nouvelle époque
commence.
L'indiennage
entraîne au début du XIXe siècle la création
d'usines concentrant des moyens financiers
et humains immenses, faisant disparaître
les petits artisans fileurs et tisserands.
Des filatures de coton, telles
DOLLFUS-MIEG en 1809 à Dornach, et des
tissages mécaniques, tels Martin ZIEGLER
en 1805, etc., sont montés. C'est le début
de la puissance industrielle de Mulhouse
devenue le "Manchester français",
oeuvre d'hommes exceptionnels.
Mulhouse
et ses manufacturiers
Ces
industriels, ces "Herren
Fabrikanten", avec leur mentalité républicaine
de calviniste, leur atavisme, leur éducation
de base reçue en Suisse et leur formation
supérieure reçue à Paris, leur caractère
rude et rigoureux, leur sens du devoir
accompli, leur vie austère voire ascétique,
leur amour des sciences et des arts,
passent leur vie à l'usine, de 5 à 6 h
du matin à midi et toute l'après-midi
jusqu'à 19 heures. A l'usine, ils sont
hautains et autoritaires, davantage
craints qu'aimés, mais, au moment des élections,
ils fraternisent avec les ouvriers
catholiques. S'ils aiment gagner beaucoup
d'argent en payant, à l'instar des
patrons catholiques du Nord, des salaires
de misère, au temple, ils ont des élans
de générosité philanthropique. Le poste
de Maire et la présidence de la Chambre
de Commerce sont des droits acquis et ils
gèrent aussi bien leur ville que leurs
affaires, favorisent les actions sociales
(salles d'asile, écoles primaires et
professionnelles, cours du soir et de
manufactures, caisses d'épargne et
bureaux de bienfaisance, cités ouvrières
et églises, assistance aux femmes en
couches, etc.), les initiatives
culturelles (musées, théâtres,
associations, etc.) et le développement
économique (industries, agriculture,
routes, voies d'eau, chemin de fer,
tramway, banques, postes, transit
douanier, etc.).
Pour illustrer
ce caractère du manufacturier du XIXe siècle,
laissons la parole à deux personnalités
d'époque :
- d'une part,
au procureur général LE VIEIL DE LA
MARSONNIERE, installé à Colmar, qui écrit
après les élections de mai 1869 dans un
rapport au Ministre : "Ce monde
industriel de Mulhouse, si hautain, si dénigrant,
si infatué de son initiative, si dédaigneux
de l'action du gouvernement, ne cesse de récriminer
contre le Gouvernement Impérial de ce
qu'il n'intervient pas suffisamment dans
ses affaires"
- d'autre
part, à Gustave DOLLFUS, président de la
Société Industrielle de Mulhouse de 1864
à 1911 et premier président du Conseil
d'Administration de l'École textile,
travailleur acharné, qui note vers la fin
de sa vie dans son journal intime:
"Au pensionnat de M. DAUTHEVILLE j'ai
pris l'habitude, avant de m'endormir, de
repasser ma journée. Dois-je dire que
souvent je suis obligé de me faire de
graves reproches ? J'ai mal passé ma
journée; j'ai mal fait. Je me promets de
ne plus retomber dans les mêmes fautes;
mais hélas! les mêmes fautes se répètent,
et mon oreiller, avec lequel je suis si
intime, devait par moments se révolter.
Que n'en a-t-on qui puissent changer leurs
douces plumes en durs noyaux de pêche
!"
Mais Mulhouse,
ce n'est pas seulement les manufacturiers.
Par l'apport d'une immense masse de
main-d'œuvre non qualifiée (catholique)
abandonnant les vallées ingrates du
Sundgau et des Vosges, attirée par
l'industrie maigrement rémunératrice
pour devenir ce Fawrikervolk méprisé par
les paysans aisés, Mulhouse passe
de 7.000 habitants au début du siècle à
46.000 en 1861 et à près de 90.000 à la
fin du siècle. Sous le Second Empire, si
les ouvriers restent fidèles à
l'Empereur, la bourgeoisie par contre,
pacifiste et libérale, n'est pas
favorable à sa politique autoritaire.
L'individualisme mulhousien défend la
libre entreprise et le libre échange. En
1860, NAPOLÉON 111, pataugeant dans ses
ambiguïtés, signe un Traité de Commerce
Franco-Anglais, aux pourparlers duquel
d'ailleurs jean DOLLFUS est associé, avec
l'orgueilleuse Angleterre victorienne,
consciente de son avance industrielle, maîtresse
des mers et des marchés commerciaux. Ce
traité fait prévaloir le libre-échange
sur le protectionnisme dont la France était
le champion jusque là. Mais une grande
partie du patronat de notre secteur,
regroupé depuis 1826 au sein de la Société
Industrielle de Mulhouse, redoute cette
concurrence anglaise et réagit en développant
production, outillage et formation du
personnel. Car l'industrie textile
alsacienne ne produit que des articles
ordinaires. Son personnel, par ailleurs
travailleur et soigneux, dont 70 % sait
lire et écrire, manque d'instruction de
base technique et de connaissances
professionnelles suffisantes, notamment
depuis l'introduction dans les années
1840 des métiers à tisser mécaniques,
puis dix ans plus tard, des métiers à
filer self-acting.
C'est dans ce
contexte qu'il faut situer la fondation,
dans "la cité aux 100 cheminées"
en 1861, de l"'École Théorique et
Pratique de Tissage mécanique" puis
celle de l"'École Théorique et
Pratique de Filature", institutions
privées, initiées, financées
partiellement et régentées par la S.I.M.
A cette initiative de la S.I.M., la
Municipalité de Mulhouse et la Chambre de
Commerce de Mulhouse (C.C.M.) apportent
leur appui. D'ailleurs, à la tête de
toutes ces institutions on trouve les mêmes
personnages, presque tous apparentés les
uns aux autres, de la puissante
"fabricantocratie": Nicolas
KOECHLIN, président de la SIM de 1861 à
1864, Joseph KOECHLIN-SCHLUMBERGER, maire
de 1852 à 1862 et Jules-Albert
SCHLUMBERGER, président de la CCM de1849
à 1891.
Au
fil des ans, des effectifs en peau de
chagrin
Le but de
notre étude ne consiste pas en une
analyse précise de l'évolution de
l'industrie textile alsacienne. Néanmoins
nous en donnons quelques points de repère,
bien qu'il soit difficile de comparer, sur
une longue période de plus de 120 ans,
des statistiques qui ne sont pas établies
selon les mêmes bases.
L'ensemble de
l'industrie textile du Haut-Rhin représente
au 1er janvier 1870 les chiffres suivants,
selon un rapport du Comité de mécanique
de la SIM de 1871 :
* 63.000
personnes employées
* 35 MF de
salaires annuels payés, dont
: 10
MF en filature,
17 MF en tissage,
8 MF en ennoblissement
*
1.440.000 broches filant
20.000 tonnes de filés (dont 2,65 %
exportés)
* 40.000 métiers
à tisser dont 27.000 mécaniques
produisant 172.000 km de tissus
* 210.000 km
de tissus blanchis, teints ou imprimés
(dont 9 % exportés)
Au vu de ces
chiffres, Gustave DOLLFUS conclut en 1871,
suite à l'annexion de l'Alsace par
l'Allemagne: "On voit par là combien
notre industrie aura d'efforts à faire
pour trouver de nouveaux débouchés une
fois que les livraisons en France seront
entravées par les droits de douane".
On trouve en
Annexe N° 1 la liste (non exhaustive) de
plus de 80 entreprises textiles et 20 établissements
de construction textile existant au début
du XXe siècle, lorsque l'industrie occupe
47 % de la population active du Haut-Rhin.
A noter que la S.A.C.M. à elle seule
compte à l'époque 10.000 salariés dans
ses trois usines.
Dans un exposé
publié dans le Bulletin de la Société
Industrielle de 1958 / I I, Pierre
WARNIER, président du Conseil
d'Administration de l'École Supérieure
de Filature, Tissage et Bonneterie de
Mulhouse cite les chiffres (arrondis) pour
1957 de l'industrie textile alsacienne
(les deux départements) :
* 42.000
personnes employées,
* 130.000
broches filant 44.700 tonnes de filés
coton et 7500 tonnes de filés laine (dont
45 % exportés),
* 17.300 métiers
à tisser coton (116 du matériel de la
France) tissant 28.000 tonnes de tissus
coton (dont 20 % exportés) et 1047 métiers
à tisser laine,
* 40 % des
machines à imprimer de France.
Comparons avec
1994. L'industrie textile de l'Alsace (les
2 départements) représente, selon le
Syndicat Textile d'Alsace et
l'A.S.S.E.D.I.C. (chiffres arrondis) :
* 9.500 salariés
dans 113 établissements (dont 7.650
salariés pour les 5 branches principales
(filature, tissage, ennoblissement,
bonneterie, nontissés),
* 1,4 milliards
F de masse salariale pour la filature et
le tissage,
* 13,5
milliards F de Chiffre d'Affaires dont 52
% à l'exportation,
* 44.000
broches à filer en activité filant 5.400
tonnes avec 390 personnes,
* 850 métiers
à tisser en activité produisant 10.000
tonnes avec 740 personnes,
* 37.200
tonnes livrées par la transformation avec
1310 personnes.
Mais revenons
aux premières années de fonctionnement
de notre École.

12.
Douloureuse rupture en 1871
L'annexion par
l'Allemagne des trois départements de
l'Est abandonnés par un vote de l'Assemblée
Nationale française à Bordeaux en février
1871, puis ratifiée par le Traité de
Francfort du 10 mai 1871, eut des répercussions
que les gouvernants de l'époque ne
pouvaient prévoir. Si, après la débâcle
des troupes françaises, les généraux
victorieux et le peuple allemands considéraient
le "retour de cette terre
allemande" comme légitime, il n'en
fut pas de même pour les habitants de
cette province que BISMARCK baptisa
Reichsland (Terre d'Empire).
L'Alsace
devenue "Reichsland"
Selon les
historiens, un premier temps, entre 1871
et 1887, est celui de la protestation
sentimentale mais inefficace d'une forte
majorité d'habitants de notre pays annexé,
dans un réflexe induit par les milieux
intellectuels, industriels et bourgeois et
dans l'espoir d'un retour prochain d'une
France républicaine. De nombreux résidents,
notamment les cadres, fonctionnaires et
industriels, quittent le pays pour
chercher refuge et construire une nouvelle
vie en France, en Algérie voire aux États-Unis.
Ainsi dans l'arrondissement de Mulhouse,
6.738 personnes s'expatrient, soit 5,3 %
de la population, 17.000 dans tout le
Haut-Rhin. L'exode continue encore durant
de nombreuses années et on estime à
quelque 350.000 personnes le nombre
d'Alsaciens et de Lorrains ayant quitté
leur patrie.,
L'intégration
et l'assimilation des émigrés alsaciens
ne sont pas toujours une réussite,
notamment à Paris et dans nos départements
limitrophes où l'afflux est considérable
et l'accueil mal organisé. Ainsi, en mai
et juin 1883, le journal belfortain
"La
Frontière" lance une violente
campagne anti-alsacienne en relatant
"le comportement agressif des masses
ouvrières alsaciennes, ces infectes étrangers,
provoquant presque chaque
dimanche de véritables sauvageries,
chantant nuitamment le chant
national allemand dans les rues de
Belfort, mettant les paisibles habitants
au défi de
sortir, s'attaquant même au maire de
Valdoie ceint de son écharpe," etc.
Ces faits
eurent pour conséquence le renforcement
de la force publique par l'installation
d'un poste de gendarmerie à Valdoie.
En revanche,
de nombreux Allemands, notamment
administrateurs, fonctionnaires, policiers
et militaires, affluent en Alsace annexée
pour occuper les places vacantes et les
meilleurs postes, surtout dans les villes.
Ainsi on compte 20 % d'Allemands à
Mulhouse et 25 % à Strasbourg. Lorsqu'en
1874 le chancelier BISMARCK octroie aux
Alsaciens le droit d'envoyer des députés
au Reichstag à Berlin, pratiquement tous
les députés élus jusqu'en 1887,
notamment des prêtres catholiques, sont
des protestataires.
Une deuxième
période entre 1887 et 1902 est caractérisée
par la dictature prussienne, le bâton après
la carotte. Dissolution de nombreuses sociétés
alsaciennes, artistiques, littéraires,
scientifiques ou sportives. Surveillance
étroite de toutes les activités,
notamment celles de la presse et du clergé
catholique et de toutes les initiatives
associatives. En 1888 est instaurée pour
tout Alsacien voulant se rendre en France
ou inversement, l'obligation du passeport
visé par l'Ambassade d'Allemagne à
Paris. Ceci fait chuter à pratiquement zéro
le nombre d'élèves de l'École Textile
venant des départements de France
jusqu'en 1891, date de l'abolition de
cette règle. Il fallait des autorisations
pour tout, notamment pour accueillir dans
les comités
des Associations des étrangers (surtout
des Français). En 1893, le président du
Conseil
d'Administration de l'École souligne, que
"nous avons mis en lumière le
libéralisme de notre enseignement et nous
sommes parvenus à obtenir de
l'administration les tolérances nécessaires
à notre recrutement cosmopolite".
Néanmoins, encore en 1901, les autorités
infligent à quatre Français, candidats
à
l'école, des refus de séjour. Pendant
cette période pénible de suspicion et de
méfiance, les Alsaciens se replient sur
eux-mêmes tout en prenant conscience de
leurs
propres valeurs personnelles et
culturelles avec le slogan "L'Alsace
aux Alsaciens".
La troisième
période est celle d'une libéralisation
avec la levée en 1902 du paragraphe dit
de la dictature, d'une certaine
autogestion et du développement économique
et culturel. A partir de 1900, des
syndicats ouvriers se structurent et la
vie politique commence à s'animer avec
l'apparition d'une nouvelle génération
d'Alsaciens. Elle culmine en 1911 par
l'application à l'Alsace d'une nouvelle
constitution octroyant une grande
autonomie de gestion. Malheureusement, en
1914, cette expérience est
douloureusement interrompue et la guerre
fait replonger le pays dans la dictature
militaire germanique.
Nous pouvons
suivre des péripéties politiques et économiques
à travers comptes rendus des Assemblées
générales et des Comités de notre
Association. La crise économique est aiguë
dans les années 1890 et le président du
Comité de surveillance de l'École
souligne, dans son rapport de 1893, qu'il
"n'a pas voulu raconter nos luttes et
nos alarmes pour ne pas éloigner de nous
une clientèle déjà déçue". Le président
BICKING rappelle en 1898 "le rude
combat pour la survie de notre industrie
alors que dans de nombreux pays on
augmente le nombre de broches de filature
et de métiers à tisser". En 1906, -
année où un certain Auguste WICKY suit
une formation de syndicaliste à Berlin -
l'Association renonce à fêter le dixième
anniversaire de son existence à cause du
décès de son président et par suite des
grèves sévères qui perturbent la marche
des entreprises à Mulhouse.
Le président
de l'Association Albert STORCK ne pouvait
s'empêcher d'annoncer une heureuse
nouvelle à l'Assemblée Générale de
juillet 1907 : "Depuis un an,
l'industrie cotonnière se réjouit d'une
prospérité qu'on n'a plus connue depuis
30 ans". C'est la seule fois, en un
siècle, - il faut le souligner - qu'on ne
se plaint pas de la situation économique
de l'industrie textile.
Toutefois,
l'industrie européenne reste en crise
quasi-permanente. En conséquence, la sécurité
des hommes n'est pas si assurée qu'on
s'imagine. A Mulhouse même, le président
de la commission d'examen de l'École
textile depuis 1863, Henri SCHWARTZ
(1845-1895), manufacturier, est assassiné
en octobre 1895 par un ouvrier
"anarchiste déséquilibré des idées
socialistes", dans la rue de l'Espérance
entre son usine (actuelle rue SCHUMANN) et
son domicile (actuelle rue LEFEBVRE),
"le meurtrier s'étant fait justice
lui-même". En Pologne en 1907, le
licenciement d'un ouvrier suite à la
situation économique troublée a des conséquences
tragiques pour un de nos Anciens, Édouard
RAIS (promo 1894), directeur de la
filature Posznanski à Lodz qui est
assassiné par ce révolutionnaire. En
janvier1908, Aimé PETIT, un ancien élève
alsacien de 28 ans, directeur de la
Filature TERNYNCK à Roubaix, est assassiné
de plusieurs coups de couteau en rentrant
chez lui le soir.
Voici le
parfait vade-mecum du jeune diplômé,
entendu lors du discours présidentiel
s'adressant aux jeunes à l'A.G. de 1908 :
"La valeur d'un industriel, d'un
directeur, est de veiller à la
production, à la qualité des produits,
de s'entendre avec ses patrons et avec ses
ouvriers. Quant à l'ouvrier, maintenant
qu'il est syndiqué, vous ne pouvez plus
lui imposer votre volonté comme jadis, il
faut avant tout s'entendre avec lui, être
juste et poli et le respecter quand c'est
possible. Une fois que vous aurez un bon
noyau de véritables travailleurs, il vous
sera très facile d'éliminer les
non-valeurs et vous aurez une main d'œuvre
modèle". Un modèle de cadre,
"Edouard GOLDER (promo 1865/66, né
en 1836 à Dornach, mort en 1910 à
Habsheim) reçoit en juin 1908 de la
Filature Raphaël DREYFUSS à Mulhouse
qu'il a dirigée pendant 35 ans, une
montre en or et une rente appréciable à
l'occasion de son départ à la retraite
à l'âge de 70 ans. Ses contremaîtres et
ouvriers lui offrent un souvenir comme
gage de leur attachement et de leur
estime". A la même époque on
souligne "un geste remarquable de
contremaîtres et ouvriers qui offrent à
leur directeur d'une usine près de Milan
une médaille en or en souvenir de leurs
bonnes relations. Ce geste est doublement
méritoire par les temps qui courent où
les ouvriers sont si exigeants". Un
Ancien, dirigeant depuis longtemps la
Filature de Schappe à Moscou, encourage
les jeunes, à l'occasion d'un voyage à
Mulhouse en 1910, à aller travailler en
Russie dont il vante le potentiel immense.
Sur
l'importance de l'industrie textile en
Allemagne en 1910, écoutons le président
du C.A. de l'école, l'ancien député Théodore
SCHLUMBERGER: "Notre industrie
textile (de l'Allemagne) est essentielle
avec 751.000 ouvriers contre 1,2 million
pour l'industrie métallurgique, en y
ajoutant le personnel de la confection et
des industries annexes on arrive à 1,1
million. Par ailleurs, le capital investi
dans cette industrie se monte à 2
milliards de Mark".
A l'Assemblée
Générale du groupe régional de Belfort
en octobre 1910, le président FLAMAND
fait un éloge de la ville de ses études:
"Mulhouse est notre ville-phare avec
ses oeuvres philanthropiques et sociales,
scientifiques et artistiques, ses écoles
professionnelles, de commerce, de dessin,
de chimie, de filature et de tissage
servant de modèle à de nombreuses créations".
Politique
de germanisation: suspicion et méfiance
Étant donné que
le Comité de notre Association d'anciens
élèves comprenait en 1901 quatre étrangers,
deux Suisses et deux Français vivant à
Mulhouse, le secrétaire BRUGGEMANN fut
chargé de demander à la Kreisdirektion
de Mulhouse une autorisation spéciale nécessaire
à cette présence d'étrangers au sein du
bureau.
Un incident
"politique" concernant notre
Association, relaté dans les journaux en
été 1905 est évoqué au cours de
plusieurs réunions du comité. Il démontre
bien le malaise permanent régnant à l'époque.
Le journal gouvernemental
"Strassburger Post" ne rate pas
une occasion pour transformer un banal
incident en affaire politique monumentale.
Il relate qu'à Strasbourg sur la place
Broglie une Société de musique
alsacienne donnait un concert samedi après-midi,
concert qui fut perturbé
par les
prestations d'une fanfare militaire
allemande jouant au Cercle des officiers.
Les Strasbourgeois furieux protestèrent.
Le même jour eut lieu à Mulhouse une
affaire analogue au Jardin du zoo où un
concert militaire était organisé ; à
l'instant de l'exécution d'un pianissimo
de trompette, des étudiants de l'École
textile manifestèrent bruyamment en
applaudissant le discours que leur major
de promotion venait de
terminer, perturbant l'audition ; ils ne
s'étaient pas rendu compte de cette
gaffe et notre vice-président, suite à
la réclamation du directeur du restaurant
du
zoo, alla s'excuser auprès du chef
militaire allemand ; le journaliste
strasbourgeois
releva que les journaux de Mulhouse
n'avaient pas rapporté cet incident et se
demanda "l'auraient-ils fait si les
perturbateurs avaient été des
Allemands?". Cela
devint quasiment une affaire d'État dont
les quotidiens se régalèrent pendant
plusieurs jours. BRUGGEMANN, le secrétaire
(allemand) de l'Association envoya une mise
au point à la "Strassburger
Post".
Prenant la
parole au cours du banquet de l'AG de
1906, Paul SCHLUMBERGER souligne
que l'école se situe à la pointe de
toutes les écoles textiles du monde
"en dépit
des prescriptions policières allemandes
qui entravent son développement".
Autre incident
significatif au cours d'un banquet de
l'Association à l'Hôtel Central en 1908:
des petits draps tricolores piqués dans
les plats sont accueillis par des
applaudissements frénétiques et déclenchent
une vibrante Marseillaise chantée en chœur
par les Anciens. Heureusement la police
n'en eut pas vent et il n'y eut pas de
suite fâcheuse.
Au cours de
l'A.G. de 1909, le président STORCK,
suite à la demande d'un membre
"pourquoi les Alsaciens recevaient
les invitations, revues et bulletins en
langue allemande et pas en français",
répondit "qu'en Alsace la loi
prescrit d'utiliser l'allemand comme
langue d'affaires. L'Association avait
obtenu l'autorisation de diffuser les imprimés
en français à cause du grand nombre
d'Anciens français et étrangers et du
fait que certains Anciens alsaciens ne maîtrisaient
pas la langue allemande.
D'ailleurs la traduction complique considérablement
le travail".
L'année
suivante, le président de l'Association
adjure les Anciens d'éviter, au cours
des réunions ou des banquets, les dérapages
verbaux ou les manifestations politiques
publiques qui risquent d'indisposer les
autorités allemandes et pourraient avoir
des conséquences fâcheuses pour notre
Association et surtout pour l'École.
13.
Retour au sein de la mère-patrie
Dès les
premiers mois de la guerre, le
gouvernement français déclare que son
but de guerre principal est le retour de
l'Alsace-Lorraine dans la communauté française.
En février 1915 est réunie à Paris une
conférence d'Alsace-Lorraine composée de
ténors de la politique française et de
plusieurs Alsaciens installés à Paris
depuis plus ou moins longtemps. Les
nombreuses résolutions pour l'avenir de
l'Alsace adoptées par cette instance
laissent apparaître une profonde méconnaissance
des vrais problèmes alsaciens. Un haut
fonctionnaire français n'a-t-il pas déclaré
"nous avons fermé le dossier
alsacien à la page 1871 et l'avons
rouvert à la page 1918" ? Comme si
l'Alsace avait été inexistante pendant
47 ans.
Dans ces
conditions, il n'est pas surprenant qu'à
Épinal, en octobre 1915, une réunion
de huit Anciens du groupe régional des
Vosges de notre École engage "une
discussion sur la réorganisation de l'École
et sur la transformation indispensable des
statuts de l'Association dont la plupart
des articles sont à modifier ou à
changer". Le lieutenant Henri BONDOIT
(promo 1905106, habitant à Romorantin
(Loir-et-Cher)) du 113e Rég. d'Infanterie
(Bureau du Commandant) à Chevilly
(Loiret) - fort loin des carnages de la
Marne et de la boucherie de Verdun -
soumet, dans l'édition
provisoire du Bulletin de l'Association N°
1, les réflexions sur l'avenir. Il émet
des vœux "que le fonctionnement des
groupes régionaux reprenne le plus
tôt possible, que l'exclusion de l'élément
teuton nous ramène les anciens élèves
qui ne faisaient plus ou pas encore partie
de l'Association ... Quant à
l'Association, une solution radicale paraît
s'imposer, déchirer les statuts et en
refaire des nouveaux". Voici quelques
propositions quant aux admissions et
exclusions et à la qualité des membres :
"tout ancien élève jouissant de ses
droits civils et politiques et n'ayant pas
été renvoyé de l'École pourra, sous réserve
des exceptions ci-après, faire partie de
l'Association. Nationalité: la présence
dans notre Association de membres
allemands ou austro-hongrois n'est plus
possible ; la question serait rapidement réglée
si nous ne devions nous préoccuper de nos
camarades Alsaciens-Lorrains".
Les Spinaliens
veulent distinguer plusieurs cas
"1) Les
Alsaciens nés en Alsace depuis la guerre
de 1870 de parents allemands,
2) Les
Alsaciens, nés en Alsace de parents
alsaciens, mais ayant servi pendant la
guerre actuelle avec un grade égal ou supérieur
à celui de sous-officier dans l'armée
allemande,
3) Comme
ci-dessus, mais non-gradés ou caporaux
seulement,
4) Les
Alsaciens ayant fait du service militaire
en Allemagne mais n'ayant pas combattu
dans la guerre actuelle,
5) Les
Alsaciens domiciliés en France au moment
de la mobilisation, en âge de porter les
armes et qui ont été dirigés sur les
camps de concentration,
6) Les
Alsaciens de France qui se sont engagés
dans l'armée française,
7) Les
Alsaciens qui, à la mobilisation, étaient
en Alsace ou dans les rangs allemands et
qui ont rejoint l'armée française
depuis.
Les catégories
1 et 2 seraient exclus sans discussion,
les catégories 3, 4 et 5 après enquête,
les catégories 6 et 7 admises de plein
droit".
"
Dehors les Teutons ! "
Après quatre
années d'atroce guerre, de dictature, de
privations et après l'effondrement de
l'Allemagne, les troupes françaises
victorieuses entrent à Mulhouse le 17
novembre 1918 et sont accueillies avec un
enthousiasme populaire délirant. Pour les
grands hommes politiques, cet accueil a
valeur de plébiscite. Mais à peine les
lampions éteints, des déceptions se
manifestent dans la population. Après
l'expulsion expéditive de 110.000
Allemands installés depuis 1871 en
Alsace, après le classement des habitants
en quatre catégories selon leurs
origines, on entre dans une période de
suspicion, de haine et de vengeance. Le
jacobinisme parisien et l'anticléricalisme
français multiplient les maladresses. En
raison du mécontentement, l'Alsace
conserve jusqu'en 1925 une structure spécifique.
Mais, après la victoire du Cartel des
Gauches en 1924, ces services d'Alsace et
de Lorraine à Strasbourg sont
progressivement rattachés à des ministères
siégeant à Paris et alignés sur le système
français. A ce sujet, l'historien Bernard
VOGLER écrit: "Un véritable fossé
se creuse entre le peuple et les représentants
du nouveau gouvernement, aggravé par
l'incompréhension réciproque de la
langue de l'autre et le changement des méthodes
administratives".
Notre
Association souffre également de cette
adaptation. En 1919, dix réunions de
comité très animées auxquelles
participent plusieurs délégués d'Épinal
et de Paris, et l'Assemblée Générale du
12 juillet essayent de venir à bout des
problèmes posés.
Les
Mulhousiens estiment que la classification
des camarades alsaciens proposée par les
Spinaliens est trop rigoureuse et veulent
faire juger les cas douteux de certains
Alsaciens par une sous-commission issue de
leur Comité, une espèce de commission d'épuration.
Ils protestent contre la tendance à
vouloir éliminer de l'Association une catégorie
d'Alsaciens ayant servi dans l'armée
allemande. BRUGGEMANN, l'homme-orchestre
depuis 1896, fondateur et secrétaire-trésorier
de l'Association, directeur de la Revue et
responsable du service de placement,
professeur et sous-directeur à l'École,
professeur textile à l'école de chimie,
expert textile international et patron
d'un cabinet conseil à Mulhouse, mais
d'origine allemande, est sommé de démissionner.
Il quitte Mulhouse et est remplacé
pendant un an au poste-clé de
l'Association par Robert DUBOIS, secrétaire
et futur président, auquel BRUGGEMANN
lance, avant de partir: "Soit, je
donne ma démission, mais ce sera la ruine
de l'Association". Si ce mot
"ruine" est une obsession et un
puissant stimulant pour DUBOIS dans les
moments de découragement devant la tâche
submergeante, il fallait admettre la dure
réalité et, déjà au bout de quelques
mois, répartir ces charges entre cinq
membres du Comité. Un autre ancien
professeur de l'école, né à Lörrach de
parents alsaciens, officier dans l'armée
allemande pendant la guerre et accusé
d'avoir tenu des propos hostiles à la
France, passera "une année de
purgatoire" après quoi il pourra
faire sa demande d'admission à
l'Association et profiter du service de
placement. Quant aux autres Anciens,
allemands et autrichiens, le Comité est
unanime à les éliminer en
"oubliant" de les inviter à
l'Assemblée Générale, non sans avoir
auparavant demandé conseil à un avocat
sur leurs droits éventuels.
Tendances
centrifuges et velléités centripètes
Déjà en
1897, un Ancien de l'école installé à
Épinal suggère de tenir une réunion
annuelle de l'Association à Épinal où
le président et le secrétaire de
Mulhouse seraient invités. Mais, flairant
une initiative séparatiste et redoutant
un affaiblissement de l'Association, le
Comité ne donne pas suite. Nouvelle
tendance centrifuge deux ans plus tard par
la relance de plusieurs Anciens des Vosges
pour fonder une "section française"
avec statuts propres, siège et
administration à Épinal, le Comité
central refuse encore cette initiative
mais propose la création d'un groupe régional
d'Anciens.
En été 1924,
curieuse coïncidence. C'est l'époque de
l'attaque en règle des institutions
locales de l'Alsace-Moselle par le Cartel
de la Gauche conduit par Edouard HERRIOT
qui déclenche une vraie levée en masse
du peuple alsacien menée par le clergé.
Une pétition demandant le maintien du
statut scolaire local en Alsace rassemble
335.315 signatures d'adultes soit 80 % des
familles.
A cette époque,
les délégués des Anciens de Paris
reprennent une idée émise en mars 1918
au Congrès du Génie Civil à Paris,
tendant à fonder une Fédération des
Associations des anciens élèves des écoles
textiles de France à Paris, en prélevant
un supplément de 10 F de cotisations par
membre (pour comparaison, prix d'un dîner
au Moll 15 F) et en installant un local
avec secrétariat, service de placement et
plusieurs employés à Paris. Le groupe de
Paris se dépêche de déposer des statuts
au Tribunal avant de recevoir l'accord de
Mulhouse. Le Comité de Mulhouse consacre
au cours de l'année une dizaine de réunions
à cette affaire. Les Mulhousiens,
craignant une mainmise des Parisiens sur
notre Association, s'élèvent contre
cette initiative. En décembre 1924 DUBOIS
est invité à une réunion à Paris où
des paroles offensantes sont adressées au
Comité. A Mulhouse, on ne savait pas trop
comment se tirer de ce piège: demander à
Paris de retirer les remarques blessantes,
charger un sage d'une mission de bons
offices, annuler tout ce qui a été dit
au cours des derniers mois, etc.? Toujours
est-il que le président DUBOIS offre sa démission
qui est refusée par le Comité, mais il décède
quelques semaines plus tard. Une assemblée
générale (A.G.) extraordinaire, convoquée
pour avril 1925, présidée par le vice-président,
se déroule dans une confusion houleuse.
A cette
occasion, une nouvelle initiative commune
aux délégués des groupes de Belfort, Épinal,
Lille et Paris propose la modification des
statuts de l'Association en formant pour
la gestion et l'administration de
l'Association un Comité Supérieur
uniquement composé des présidents ou délégués
des groupes régionaux, en d'autres
termes, de supprimer le Comité central
mulhousien tel que les statuts de 1896 le
prévoient. HUGELIN, ancien professeur à
l'école installé à Paris, argumente :
"Comme il y a désaccord entre la
majorité et l'organisme, un Comité supérieur
évitera que l'Association soit maintenue
en état permanent de conflit latent et déprimant".
GÉGAUFF, membre fondateur de
l'Association, ingénieur à la S.A.C.M.
et inventeur d'une peigneuse, professeur
vacataire à l'école, d'une voix de
stentor, prend position contre ces
propositions séparatistes en dénonçant
les tendances de mainmise sur
l'Association par leurs initiateurs.
Finalement la motion GÉGAUFF est adoptée
par 190 voix contre 124 sur 329 votants.
L'Assemblée Générale
ordinaire de juillet 1925 réunissant 116
membres est présidée par le secrétaire
démissionnaire jules PFLIMLIN, le Comité
central ayant donné sa démission
collective. PARRENT d'Épinal attaque :
"Avant la guerre, nous avions supporté
longtemps la tyrannie d'une Direction
imposée qui représentait pour nous
l'esprit d'Outre-Rhin. Après la guerre
notre Association aurait dû être libre,
mais le Comité central l'a mise sous la
tutelle occulte des industriels
mulhousiens et nous n'avons fait que
changer de maître". C'est le chahut
mais on n'en vient pas aux mains. Des voix
de Mulhousiens s'élèvent: "Nous,
Alsaciens, nous n'avons pas mérité de
nous faire dire des sottises de cette
sorte" - "Il est indigne que des
gens qui n'ont rien fait élèvent des
protestations". GÉGAUFF, encore lui,
tel un tribun, entraîne ses partisans,
conclut en défendant le travail du Comité
central et soumet au vote une proposition
de rejet de l'adhésion à la Fédération.
Elle est adoptée par 81 % des membres. L'Association
est sauvée.
Le calme
semblait revenu. Au Comité de janvier
1926 "on scelle l'entente unanime,
cordiale et définitive entre tous les
groupes et le Comité central, on oublie
les incidents et on ne reviendra pas sur
ces questions". Mais une lettre du
mois de juin du groupe de Paris annonce
que son Comité régional a démissionné
en bloc et un rapport d'octobre dit "étant
donné que les discussions avec le Comité
central continuent sans amener l'entente
... le président estime que le comité régional
doit démissionner".
"
Une horrible crise économique "
Si les démêlés
au sein de l'Association s'apaisent, il
n'en est pas de même en ce qui concerne
ceux de l'économie mondiale des années
1930. Dès 1929, les réunions du
Comité et les discours d'Assemblées générales
en sont de plus en plus infestés.
Plusieurs indicateurs objectifs en font
foi: les entrées à l'école tendent à
baisser, les demandes au service de
consultation technique diminuent considérablement,
les places offertes ne suffisent plus à
satisfaire les nombreuses demandes
d'emploi, des appels à l'aide pour des
Anciens nécessiteux sont présentés, les
industriels résilient les contrats de
publicité pour la revue, les membres
honoraires ne payent plus de cotisations
et les membres actifs traînent pour régler
les leurs.
Au cours de
l'A.G. 1930, le président LAUER adresse
spécialement ses conseils aux Anciens qui
enverraient leurs fils à l'école
"n'ayez pas de fausse honte à
commencer à travailler en usine comme
ouvrier, vous comprendrez mieux leurs
problèmes, puis faites pendant un certain
temps le métier de contremaître salarié
pour apprendre à commander les ouvriers
avec équité et justice, enfin vous
pourrez entrer dans l'industrie pour
gravir les échelons comme sous-directeur,
directeur et plus tard chef
d'industrie". L'année suivante, on
évoque cette "horrible crise qui
provoque le chômage en espérant qu'elle
passera rapidement". Si en 1932,
l'Association se félicite qu'un Ancien,
Alfred WALLACH (promo 1898/99, 1878-1961)
est élu député de Mulhouse et met tous
ses espoirs en lui pour défendre les intérêts
de notre industrie textile, l'année
suivante le président LAUER constate avec
amertume que "la crise n'a jamais été
aussi intense pour l'industrie textile que
pendant les deux dernières années :
fermetures d'usines, réductions d'activités,
patrons ruinés, directeurs licenciés,
impossibilité de trouver des emplois pour
les jeunes diplômés, ce qui les force à
se lancer dans d'autres branches, certains
camarades ont juste de quoi vivre
honorablement. Cette période d'attente
dictée par la situation économique et
politique a des effets néfastes". En
1934, LAUER avoue que l'année écoulée
est encore plus désastreuse que les deux
précédentes et en dénonce les causes:
"les barrières douanières que les
pays érigent coupent l'exportation, les
pays clients ne payent plus, en France une
crise de confiance diminue la
consommation, les industriels travaillent
à perte pour occuper leurs machines, les
impôts et charges sont trop lourds. Si on
ne réagit pas, nous verrons notre belle
industrie se mourir lentement". Des
remèdes sont proposés au cours de ces
discours : " ententes
professionnelles pour proportionner la
production aux besoins, mise en chômage
d'une partie du matériel, interdiction du
travail en équipe, faire pression sur le
gouvernement grâce à notre camarade député
WALLACH, et les beaux jours reviendront
... ". L'année suivante, le président
dénonce la crise de confiance et la
propagande défaitiste en se lançant dans
les incantations: "chacun doit
travailler au redressement national de
notre industrie !"
L'année 1936
marque un sommet de la crise économique
et sociale. LAUER aurait aimé, pour le
quarantième anniversaire le
l'Association, lire le procès-verbal de
la première A.G., mais comme il est rédigé
en allemand, on s'en abstient. Il enchaîne
: "Il y a un an, nous formions le vœu
pour un avenir meilleur, mais toutes nos
espérances ont été déçues.
Aujourd'hui tout va mal, l'industrie, le
commerce et l'agriculture. Les pouvoirs
publics ne protègent même plus la propriété
privée, exemple l'ignominieuse occupation
des usines de ces derniers temps. Après
la hausse des salaires qu'on nous a imposée
et qui nous ferment les débouchés
maigres à l'exportation, la loi des 40
heures nous portera le coup de grâce.
Pour parer au chômage, les pouvoirs
publics auraient depuis longtemps dû
faire une autre politique coloniale. Il
est inadmissible qu'un pays étranger
puisse nous faire concurrence sur nos
marchés coloniaux... Les convulsions
sociales doivent cesser. Il y va
actuellement de l'existence même du pays,
menacé dans ses bases morales et matérielles
par les mains criminelles d'agitateurs
professionnels inspirés par l'étranger".
En juillet 1937 on dénonce les difficultés
sans nombre: "les accords sociaux de
MATIGNON, les vacances payées, la semaine
de 40 heures, les lois d'arbitrage, la
hausse effrénée du coût de la vie,
l'impossibilité d'exporter à cause de
nos prix 20 % plus chers que ceux de l'étranger,
le chômage, les dévaluations du franc. Où
allons-nous...?" A l'Assemblée Générale
de 1938, même refrain: "lutter
contre ce régime d'instabilité qui
complique tous nos problèmes, conditionné
par notre situation politique, instabilité
de notre monnaie, des prix, des salaires,
des charges". Enfin, en 1939, les
lamentations continuent mais un orage
apocalyptique se profile à l'horizon.
LAUER : "Après un commencement de
reprise prometteur, les événements de
septembre dernier ont d'un coup de frein
brutal mis fin à cette velléité de démarrage
que les accords de Munich n'ont pas
revivifiée. La grève générale du 30
novembre a montré quand même que le pays
se ressaisissait et que les mauvais
bergers n'étaient plus écoutés comme
auparavant... les rapports entre ouvriers
et patrons sont devenus plus
cordiaux..." On dénonce les maux :
"Les grands coupables sont le manque
d'entente professionnelle - que n'a-t-on
pas suivi l'exemple de nos voisins
d'Angleterre, où, entre autres, les
filateurs se cantonnent dans la production
de quelques numéros de fil seulement, les
tisseurs dans un nombre d'articles limité"
- et les pouvoirs publics qui auraient dû
secourir notre industrie textile, imposer
des ententes dans les différentes
branches, des tarifs protecteurs, des
primes à l'exportation,... Il est vrai
que la situation politique actuelle ne
facilite pas les choses surtout dans notre
région frontière avec tous les risques
qu'elle comporte. Mais il est permis d'espérer
que l'intelligence humaine sera suffisante
pour éviter la catastrophe que serait une
nouvelle guerre avec son cortège de
ruines et de deuils". Espoirs vains !

"
La plus sombre période de l'histoire de
l'Alsace "
Les
tribulations de l'École durant l'annexion
de fait nazie entre 1940 et 1944 sont évoquées
au chapitre deux. La dernière réunion plénière
du Comité de l'Association a lieu en décembre
1939. C'est déjà la guerre et deux
membres absents du Comité sont mobilisés.
Le président LAUER signale qu'il a envoyé
les archives en lieu sûr dans le
Lot-et-Garonne et suspendu la publication
de la revue. De 1940 à 1944, deux seules
réunions plutôt clandestines d'un Comité
restreint de huit membres restés sur
place, d'autres s'étant réfugiés en
France, expédient les affaires courantes,
notamment financières (un seul procès-verbal
de la réunion de mars 1944, rédigé en
langue française, subsiste). Car les
autorités occupantes avaient suspendu
l'Association du 6 septembre 1940 au 26
juillet 1941 jusqu'au moment du paiement
de la somme de 216 RM (correspondant à
3400 F de l'époque), le compte chèque
postal ayant été confisqué par le
Stillhaltekommissar. Des contacts discrets
sont maintenus avec des Anciens du
secteur, notamment les présidents et secrétaires
des groupes de Colmar et de Strasbourg.
Après la Libération,
la première réunion du Comité a lieu le
26 avril 1945 avec les mêmes membres que
ceux des années de guerre, les autres n'étant
pas encore revenus. Autour de l'ancien
directeur Fritz ORTLIEB, le Comité
manifeste ses graves préoccupations au
sujet de l'École qui n'a pas encore
rouvert ses portes. En juin 1945, avec le
retour du président LAUER, de Paul
SCHLUMBERGER et de jean DOLLFUS du Conseil
d'Administration de l'école, on s'occupe
de la rentrée et de la réactivation de
l'Association par l'élection de nouveaux
membres au Comité, notamment de Paul
WINTER, alias Commandant DANIEL, un des
chefs de la Résistance du Haut-Rhin.
Le 20 juillet
1946, dans le grand amphi de l'école,
retrouvailles de plus de 100 Anciens pour
une triple manifestation émouvante: la
première Assemblée Générale de
l'Association après la guerre, le
Cinquantième Anniversaire de sa fondation
en 1896 (on n'a pas pu faire d'exposé
complet sur les 50 ans de l'Association,
car les registres des procès-verbaux
n'avaient été récupérés que trop récemment)
et la cérémonie du Souvenir par
l'inauguration d'une Plaque commémorative
en bronze d'une trentaine de camarades
morts au champ d'honneur, fusillés par
les Allemands ou morts dans des camps de
concentration, durant les guerres de
1914/18 et 1939/45. Plus tard, le nom d'un
jeune camarade mort durant la guerre d'Algérie
y est encore inscrit. (Néanmoins, comme
il semble que les noms de certaines
victimes ne figurent pas sur cette plaque,
il y aurait lieu de refaire une enquête
pour compléter les inscriptions).
Après le
discours inaugural du président LAUER, le
secrétaire BARTH évoque "les
souffrances et les humiliations auxquelles
les Alsaciens étaient exposées durant
l'occupation. Abandonnés à eux-mêmes,
vivant sous la menace perpétuelle de la
Gestapo, traqués sans répit, les
Alsaciens ont connu tous les stades de
l'oppression, allant de l'expulsion, la déportation,
l'enrôlement de force dans les formations
politiques et dans la Wehrmacht, par le
calvaire des camps de concentration
jusqu'aux condamnations à mort. Malgré
tout cela, et au lendemain même de la défaite,
des patriotes alsaciens s'organisaient
pour venir en aide à nos prisonniers
d'abord, aux persécutés civils ensuite.
Mulhouse fut le berceau de la plus
importante filière d'évasion
d'Alsace-Lorraine. Des milliers d'évadés
de tous les grades furent rapatriés par
la Suisse ou par Lons-le-Saunier grâce à
cette organisation. D'innombrables actes
d'héroïsme furent accomplis dans la
clandestinité accusant le plus pur désintéressement
et un esprit de sacrifice et d'abnégation
totale. Nous sommes particulièrement
fiers de compter parmi ces héros obscurs
et inconnus de la grande masse
quelques-uns des membres de notre
Association".
14.
Les "trente glorieuses" et
l'industrie textile
Durant les
premières années d'après guerre, outre
les problèmes de dévaluation et
l'augmentation galopante des prix,
salaires et cotisations, on ne relève guère,
dans les procès-verbaux et les discours
des Assemblées Générales, de préoccupations
sociales, politiques et économiques.
Par contre, à
l'école, on se plaint du trop plein. En
1949, le directeur de l'école, Victor
HILDEBRAND, signale un nombre record de
187 élèves dont 143 Français et des étrangers
de 16 nationalités. En 1950, il y a trop
de demandes d'admission et pas assez de
places à l'école, ce qui nécessite le
recours à un examen d'entrée plus sévère
et l'agrandissement des locaux. Et puis,
les problèmes d'adaptation des programmes
d'études aux nouvelles exigences se font
de plus en plus pressants. Nous en parlons
ailleurs.
Interminable
récession
Toutefois dès
1951, les soucis économiques
resurgissent. Pierre LAUER à l'A.G. 1952
: "... Les emplois disponibles sont
moins nombreux que jadis, c'est un effet
de cette malheureuse crise qui touche si
durement notre industrie, peut-être une
des plus aiguës que nous ayons connues,
partout la mévente et le chômage qui
s'en suit. Le gouvernement a bien pris les
mesures telles que fermeture des frontières
à l'importation, encouragement à
l'exportation et augmentation des
allocations de chômage... mais il
faudrait surtout que les prix baissent au
détail ...". Le placement des
sortants devient plus difficile.
"L'industrie souhaite des cadres
ayant 10 à 15 ans d'expérience. La route
s'annonce dure pour les jeunes".
Voici que réapparaissent
en 1955 de nouvelles mais passagères velléités
d'autonomie du groupe régional du Nord
"demandant que soient définis les
rapports entre le Comité central et les
groupes régionaux, que ceux-ci soient
considérés comme des Amicales autonomes
indépendantes du groupe central et que
les groupes soient consultés avant une
prise de décision du Comité
central". Mais il n'y eut pas de
suite.
A l'AG de
1955, jean DOLLFUS, président de la
S.I.M. : "Dans la crise qui sévit si
durement, nous n'avons aucune raison de
nous montrer tant soit peu pessimistes. Le
triomphe du goût français à
l'Exposition de Bruxelles, la qualité de
la production française ... l'Europe a
montré au monde la voie à suivre ... le
jour où elle aura repris confiance en
elle‑même, notre pays se trouvera
à la tête du progrès ..." et à
l'A.G. de l'année suivante: "La
S.A.C.M. n'a aucunement le projet de
sacrifier la construction de machines
textiles... Les moteurs sont dessinés et
mis au point par des Alsaciens...".
En 1957 " il s'agit de conserver à
l'École de Mulhouse qui a été la première
en France, sa situation de premier plan.
L'industrie française face au Marché
Commun, saura montrer la suprématie des
techniques françaises".
Le couplet de
la crise du textile est repris en 1959. On
constate la désaffection des jeunes pour
l'industrie textile qui rend la sélection
d'admission à l'école plus problématique.
Les moyens financiers mis à sa
disposition sur le plan de l'adaptation
rapide aux méthodes modernes sont
insuffisants. Le rattachement de l'École
à l'Éducation Nationale devrait lui
procurer les moyens nécessaires. Après
les festivités du Centenaire de l'École,
en 1961, on trouve que le rattachement de
l'École à l'Université, promis depuis
juin 1959, traîne parce qu'on met des bâtons
dans les roues en haut lieu. Mais le président
Paul WINTER souligne également que
l'Association ne montre pas assez de cohésion
pour appuyer cette démarche alors qu'elle
devrait être une "force de
frappe". En 1967, Jean OULMANN, président
de l'Association, rappelle : "pour de
nombreux camarades, le versement de la
cotisation annuelle semble constituer
l'effet libératoire par excellence.
N'appartenons-nous pas à une industrie
qu'on présente comme condamnée ? Notre
École a été présentée comme devant être
logiquement fermée. Mais notre industrie
qui continue à occuper le 2e rang des
industries françaises par l'importance
des effectifs, a besoin de dirigeants d'un
haut niveau scientifique".
Mai 1968 a
aussi influencé notre Association, ne
serait-ce quant à la date de son A.G. qui
n'a lieu qu'en octobre. OULMANN :
"Les événements de mai-juin ont eu
des répercussions profondes sur l'économie
française en général et sur l'industrie
textile en particulier. La Convention de
Grenelle, en autorisant des améliorations
substantielles de salaires a, entre
autres, introduit dans la trésorerie des
entreprises des charges telles que le
processus de restructuration et d'élimination
des entreprises marginales en ressort
grandement accéléré". Néanmoins,
en 1969, le président constate : "un
an après les événements de mai 1968, on
note qu'après quelques semaines déjà,
les carnets d'ordre se sont regarnis, les
stocks regonflés, les prix améliorés,
un certain équilibre entre l'offre et la
demande, le tout sans l'emballement
habituel au lendemain des crises. Rares
sont les entreprises qui ne connaissent
pas un niveau d'activité élevé".
Mais déjà en 1970 le président Paul
BARTH relève que les affaires marchent
moins bien à cause de l'encadrement du crédit
et de la surproduction, le marché métropolitain
étant en baisse de 15 %, l'export en
croissance de 150 à 200 %. Le vice-président
Pierre SIEGER constate en 1971 "une
évolution trop rapide de la mode qui
remonte de la rue au lieu d'être imposée
d'en haut, une absence totale du commerce
de gros qui est régulateur et qui a une répercussion
défavorable sur l'activité rationnelle
des entreprises". Toutefois,
"toutes les entreprises qui se sont
spécialisées en abandonnant aux pays
sous-développés la fabrication
d'articles très classiques jouissent
d'une situation privilégiée".
Les vrais
grands problèmes de demain
Entre-temps l'École
est entrée dans une période de
bouleversements. Au terme de plus de dix
années de longues et laborieuses négociations
avec le Ministère de l'Éducation
Nationale, l'École est transformée en École
Nationale Supérieure d'Ingénieurs
(E.N.S.I.) et intégrée dans la jeune
Université de Haute-Alsace, devenant Unité
d'Enseignement et de Recherche
Universitaire.
A l'occasion
de l'inauguration des nouveaux bâtiments
de l'E.N.S.I.T.M. en décembre 1977,
Pierre SIEGER, président du Conseil
d'Administration et de la Société Civile
de l'École, se met à l'heure de vérité
en rappelant : "... les vrais grands
problèmes des générations à venir sont
"comment, à terme, répartir les
fruits de la croissance sur le plan
mondial et arriver ainsi à faire évoluer
l'ensemble des pays en voie de développement
vers ce mieux et plus être ?". Il
faudra être politiquement capable de dire
la vérité à nos populations
- que nous
sommes allés trop loin dans nos
exigences, limités que nous étions,
aveuglés et cristallisés dans notre
univers de pays évolués,
- que
nous vivons au-dessus de nos moyens,
- qu'il faudra
peut-être travailler plus et non moins,
gagner moins et non plus,
- que la société
d'abondance, la société de loisirs sont
des mythes...".
Dans les années
1980, l'évolution des structures de l'École
devenue composante à part entière de
l'Université de Haute-Alsace, la
restructuration des enseignements
scientifiques et techniques, le développement
des activités de recherche au sein d'un
laboratoire propre, ainsi que les actions
de coopération internationale
prennent le pas sur les préoccupations
sociales, économiques et politiques des
anciens élèves.
Au cours de
l'A.G. de 1982, alors que le directeur
Richard A. SCHUTZ souligne avec
enthousiasme "le virage des
constructeurs de machines textiles vers
l'automatisme,
la régulation
informatisée et la conception intégrée,
d'où la nécessité de formation
à l'école d'informatique utilitaire dans
une nouvelle salle d'informatique avec
huit consoles
utilisables en libre service", le président
René DUC rappelle que "sur le
plan économique de la France, le bilan
n'est pas très brillant: déficit de la
balance
commerciale, aggravation du chômage,
diminution du pouvoir d'achat,
augmentation des charges des entreprises,
dépôt de bilan qui plane sur la
S.A.C.M.". Et en 1983,
"force est bien de constater un décalage
croissant dans notre pays entre les
espoirs
et les réalisations, il y a deux ans, on
croyait à la relance, aujourd'hui le
temps de
la rigueur a sonné, l'économie française
est en récession". R. SCHUTZ publie
dans
le B.I.M. de janvier 1984 une remarquable
étude de 4 pages sur la robotique en
posant la question : "A la limite, la
robotique conduit à la suppression des
conducteurs de machine, est‑ce un
bien absolu?" Si on parle de
l'affranchissement de l'intervention
humaine, on n'évoque pas le chômage qui
pourrait en découler.
En 1990, le président
DUC constate : "l'école se porte
bien, les élèves se placent facilement,
l'industrie demande de plus en plus d'ingénieurs,
face à cela, les gros titres de la presse
n'engendrent pas l'euphorie "filature
en déprime, le coton ne tient pas le bon
fil"... ". Cette campagne de dénigrement
de la presse à l'égard du textile et du
métier d'ingénieur, en général,
n'incite guerre les jeunes bacheliers à
poursuivre des études
supérieures, le diplôme n'étant plus
synonyme d'emploi. En 1993,
l'E.N.S.I.T.M., à l'instar des autres écoles
textiles françaises, constate une baisse
significative des flux d'entrée. A l'A.G.
de 1994, le directeur Auguste KIRSCHNER
fait le
point : "L'E.N.S.I.T.M. subit à son
tour le contre-coup de la crise économique.
A la rentrée 1993 nous n'avons accueilli
qu'une trentaine d'élèves en première
année contre
40 en 1992. Ce n'est certes pas le moment
de céder au défaitisme alors que la
qualité de la formation dispensée par
l'E.N.S.I.T.M. tant sur le plan
scientifique que technologique est
reconnue au plus haut niveau et son
rayonnement cité en exemple".
Effectivement, grâce à une stratégie de
recrutement plus directe, à une refonte
des
programmes d'enseignement alliée à un
projet de diversification des filières et
une nouvelle stratégie de synergie avec
les forces vives de l'Université de
Haute-Alsace dans le domaine de la mécanique,
la crise de recrutement n'est bientôt
plus qu'un mauvais souvenir. Dès la rentrée
1994, les effectifs de première année
remontent à
43 élèves, l'année suivante
à un chiffre record de 48 élèves. Ces résultats
justifient
un nouveau projet d'extension de 2000 m2
des bâtiments de l'École. Sa population
estudiantine, toutes filières confondues,
atteint alors 250 élèves.
*
*
*
Inséparables
les uns des autres, les événements
politiques et socio-économiques de plus
d'un siècle d'histoire alsacienne ont
marqué profondément la vie de notre École,
vue à travers les états d'âme des
Anciens.
Limage
permanente véhiculée par l'industrie
textile, puissante et omniprésente au
XIXe siècle, est celle de crise et de récession.
Une exception en 1907 où l'on se réjouit
d'une prospérité qu'elle n'a jamais
connue depuis 30 ans. Pour les Anciens,
les fauteurs de la crise de 1929 à 1939
sont bien définis et dénoncés, en
l'occurrence, le gouvernement. La crise
textile, interminable, continue à sévir
à partir des années 1950, en dépit des
bonnes mesures gouvernementales...
Quant
à la conjoncture politique, elle est
particulière à l'Alsace, province
convoitée entre deux puissants États.
Après 1871, la politique de
germanisation, émaillée de nombreux
incidents, entrave le fonctionnement et le
développement de l'École. Toutefois, la
politique d'assimilation française
instaurée après 1918 ne fut pas moins aléatoire,
déclenchant des tentatives d'ostracisme
et de mainmise. La période d'annexion
nazie n'est en rien comparable aux autres
époques. Depuis 1945 la vie politique
n'est plus évoquée dans les procès-verbaux,
sauf en mai 1968. Un temps de sérénité
permet d'envisager les problèmes
d'adaptation au futur.
Sources
archivistiques

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