Retour à la page de titre

 

 Chapitre II : une école en perpétuelle adaptation

L'histoire de notre vieille École, contrairement à celle de l Association, a fait l'objet de plusieurs publications relatant son développement, notamment un luxueux livre de 120 pages édité en 1961 à l'occasion de son Centenaire, une plaquette de 50 pages éditée en 1982 et un bref Historique de l'École rédigé sur deux pages, actualisé par ses Directeurs et inséré dans les Annuaires des Anciens. Même si nous puisons d'intéressants renseignements dans ces publications, nous estimons qu'il est néanmoins utile à la connaissance de l'histoire de compléter ces informations par des faits relevés dans les archives de la Société Industrielle de Mulhouse et dans les procès-verbaux de l'Association et complétés par des anciens directeurs.

Comme nous l'avons vu, c'est la convergence de trois facteurs, le besoin d'une main-d'œuvre mieux formée, la constatation du manque de cadres qualifiés dans l'industrie textile alsacienne et la signature d'un Traité de commerce entre la France et l'Angleterre supprimant la prohibition, qui incita les industriels mulhousiens à fonder en 1861 une "École Pratique et Théorique de Tissage Mécanique".  

La Société Industrielle de Mulhouse fondée la veille de Noël 1825 par vingt-deux manufacturiers du secteur de Mulhouse et déclarée d'utilité publique par décret royal en 1832, se préoccupait du développement de la région, de son industrie mais aussi d'institutions sociales et d'instruction.

21. Un foisonnement de l'enseignement technique

Depuis des lustres, la S.I.M., emboîtant le pas aux édiles mulhousiens, se souciait de la formation de base mais aussi professionnelle de la jeunesse par la création de nombreuses écoles professionnelles spécialisées et secondaires, dont voici quelques exemples de réalisations.    

A Mulhouse au XIX ° siècle 

Collège Municipal de Mulhouse : existait de 1812 à 187, formation en latin, français, dessin, statistiques commerciales, hygiène élémentaire; frais d'écolage 12 F par an, 15 F avec le latin; en 1822, il comptait 4 classes avec l'enseignement de français, latin, grec, allemand, religion, géographie, histoire, histoire naturelle, calcul, mathématique, physique, écriture, dessin, chant ; en 1831 on cherchait à se rapprocher de l'organisation des lycées; à partir de 1849, les programmes furent conformes à ceux des lycées de l'enseignement secondaire.

École de Chimie : fondée en 1822 pour dispenser des "cours de chimie appliquée aux arts" au laboratoire du Collège municipal, dirigée par DEGENNE, ancien élève de l'École Normale Supérieure, puis en 1825 par le Dr. Achille PENOT, originaire de Nîmes, elle devint en 1871 École Municipale de Chimie Industrielle. En 1879 le nouveau bâtiment du Quai du Fossé accueillait l'École dirigée par Emilio NOELTING (1851-1922) qui fut expulsé par les Allemands en 1915. Érigée en École Supérieure de Chimie en 1930, elle fut rattachée à l'Université de Strasbourg en 1957 pour devenir École Nationale Supérieure et jouir d'un prestige international.

École de Dessin et de Gravure : fondée par la SIM en 1829 et installée à la Porte Haute en 1853. Les cours d'abord payants pendant de longues années étaient gratuits à partir de 1868 grâce aux dons de H. HAEFFELY En 1899, l'École dirigée par GLEHN avec le professeur de dessin ROEDER, comptait 174 élèves exécutant 2500 dessins.

École Israélite d'Arts et de Métiers : fondée en 1842 pour la jeunesse israélite de Mulhouse, elle comptait trois ans d'études en internat complet.

École des Sciences Appliquées : ouverte en 1855 dans les locaux de l'École professionnelle et de l'École de Dessin de la rue Huguenin avec un programme se rapprochant de la licence ès-sciences, elle fut dirigée par PENOT jusqu'en 1870 où elle fut fermée.

École Professionnelle de l'Est : érigée en 1854 à l'initiative de l'État sur proposition du Recteur de l'Académie de Strasbourg à titre expérimental à Mulhouse et dirigée par Paul SCHUTZENBERGER, elle "distribue l'instruction aux enfants de la classe ouvrière destinée à compléter leur éducation par l'apprentissage d'un métier". Elle devint Gewerbeschule en 1872 et fut dirigée par le Dr. CHERBULIEZ (d'origine suisse) de 1872 à 1898. Étude des langues vivantes et sciences exactes, travaux manuels et de laboratoire, préparation aux carrières de l'industrie et du commerce.

École Supérieure de Commerce : fondée en 1866 à Mulhouse (avec une dotation de 100.000 F de Jules et Jacques SIEGFRIED) organisée selon le modèle de l'Institut supérieur de Commerce d'Anvers, elle fonctionnait jusqu'en juillet 1872. On y étudiait en deux ans : langues (anglais, allemand, italien, espagnol), calligraphie, histoire commerciale et géographie, législation et économie commerciales, arithmétique sociale et comptabilité. Frais d'écolage 600 F par an. Entre 1866 et 1872 l'école avait formé 174 élèves. Par suite de l'annexion, le directeur PENOT et l'ensemble du corps professoral avec la presque totalité des élèves venant de France, quittèrent Mulhouse pour Lyon en 1872. Le Dr. PENOT ouvrit dans cette ville avec l'appui de la Chambre de Commerce de Lyon une École supérieure de Commerce et de Tissage, selon le modèle mulhousien.  

École technique des Apprentis : fondée en 1899 à l'initiative des industriels mulhousiens et de la Municipalité, elle formait en 3 ans des jeunes pour la construction mécanique ; vers 1900 une collaboration avec l'École de Filature et de Tissage permit une meilleure préparation de certains jeunes qui voulaient entrer à l'École textile. 

Ailleurs en France 

Avec les avancées de la science et les multiples inventions techniques dans l'Europe du XIX° siècle, la formation se développe partout, répondant à un ardent besoin.

Dans son rapport de fin 1900 à la S.I.M., le président du Comité d'Administration de l'École de filature et de tissage de Mulhouse constatait que "les écoles d'enseignement textile se multiplient autour de nous: Lyon, Saint-Etienne, Reims, Roubaix, Tourcoing, Fourmies, Flers, une école en formation à Épinal". Certaines de ces écoles subsistent toujours.

De nombreuses institutions continuent à dispenser, encore en 1980, un enseignement textile de niveau C.A.P., B.E.P., B.T.S., etc... à Lyon, Villeneuve d'Ascq, Caudry, Roanne, Rouen, Castres, Lavelanet, Roche-la-Molière, La-Tour-du-Pin, Troyes, etc. Pour quelques villes, nous avons pu trouver dans les archives municipales ou dans des revues textiles des traces d'écoles textiles disparues. Ainsi, une école textile fonctionnait à Reims en 1895. A Fourmies, la Société Industrielle avait créé en 1885 une École de Peignage, Filature et Tissage. Devenant en 1892 l'École Pratique de Commerce et d'Industrie, elle dispensait des cours du soir pour former des générations de techniciens de filature et de tissage. A Saint-Étienne une École Nationale Professionnelle fut fondée en 1882 où l'on enseignait, entre autres, "l'analyse et la contexture des tissus, quelques façonnés, le Jacquard, la mise en carte et le lisage", matières ayant été enseignées depuis 1874 en cours du jour ou du soir à l'École de Fabrique de l'École Municipale de dessin de cette ville. A Flers (Orne) une École Industrielle est créée en 1872 par ARMBRUSTER, un ancien élève et ancien sous-directeur de l'École de Mulhouse, aidé en 1903 par le professeur Emannuel TOUSSAINT, un autre ancien de Mulhouse (promo 1888). L'École de Flers dispense en un ou deux ans un enseignement en tissage et fabrication des tissus, complété éventuellement par le blanchiment et la teinture et un enseignement théorique de la filature. Les élèves se recrutent dans toute la France, en Suisse et en Italie. En 1889 la Chambre de Commerce de Tourcoing et un syndicat d'industriels et de négociants fondent l'École Industrielle de Tourcoing dispensant en deux ans un enseignement théorique et pratique en filature de coton, peignage et filature de laine, tissage mécanique et à la main, mécanique, dessin, électricité et comptabilité.

De prestigieuses écoles textiles françaises, dont voici un bref historique, offrent encore aujourd'hui une formation supérieure.

École Nationale Supérieure des Arts et Industries Textiles (E.N.S.A.I.T.) à Roubaix. La Municipalité de Roubaix envisageait dès 1876 la création d'une École d'art et de textile avec le concours de l'État. Officiellement créée par une loi d'août 1881 et une convention bilatérale de 1882 entre la ville et l'État, l'école ouvrit ses portes en 1889 avec le nom d'École Nationale des Arts Industriels qui devint en 1921 École Nationale Supérieure des Arts et Industries Textiles. En 1926, elle fut rattachée à la Direction de l'Enseignement Technique et divisée en trois sections: l'enseignement de l'art avec la peinture, l'architecture et la sculpture, l'enseignement préparatoire au génie civil, l'enseignement technologique des industries textiles (filature, tissage, teinture, impression et apprêts). Elle formait le personnel de maîtrise et d'encadrement. L'école fut autorisée à délivrer le diplôme d'ingénieur à partir de 1947 et a formé un millier d'ingénieurs E.N.S.A.I.T. jusqu'à ce jour.  

École Supérieure des Industries Textiles de l'Est à Épinal (E.S.I.T.E.). Dès 1875, l'idée de fonder un cours de filature et de tissage à Épinal germa dans les esprits des industriels de l'Est, notamment ceux qui avaient quitté l'Alsace pour des raisons politiques quand elle est devenue allemande en 1871. Mais la création définitive ne fut décidée qu'en 1903 à l'initiative du Président du Syndicat Cotonnier de l'Est, Georges JUILLARD-HARTMANN (un Ancien de l'École de Mulhouse, promo 1865) et avec le soutien de la Ville d'Épinal et de sa Chambre de Commerce. La première rentrée de cette École, rattachée à l'École Industrielle des Vosges à peine créée également, eut lieu en octobre 1905. En 1913 l'École baptisée École de Filature et Tissage de l'Est et dirigée par Xavier HUGUENY, un ancien élève de l'École de Mulhouse qui y fut également professeur pendant quelques années, s'installa dans de nouveaux locaux de la rue d'Alsace construits à cet effet. Elle s'appellera en 1922 École Supérieure de Filature et de Tissage de l'Est, puis, après la création en 1952 d'une section d'ingénieurs, École Supérieure des Industries Textiles de l'Est à partir de 1980. Formant des B.T.S. Techniques du textile, des B.T.S. Techniques de la confection et des Ingénieurs, l'E.S.I.T.E. décerna pour la première fois en 1996, dans le cadre de l'Institut National Polytechnique de Lorraine, le label d'ingénieur européen junior à certains de ses ingénieurs.

Institut Textile et Chimique de Lyon (I.T.E.C.H.). Né de la longue et brillante tradition de la soierie lyonnaise, un cours de théorie de tissage fut dispensé dès 1840 par le professeur AUDIBERT au Palais des Arts à Lyon. En 1884 la ville créa l'École Municipale de Tissage qui, à partir de 1905, alors dirigée par Félix GUICHERD, fils de canut, atteignit une réputation mondiale en tissage. Installée en 1933 dans de nouveaux locaux sur la colline de la Croix-Rousse, l'École devint en 1984 École Supérieure des Industries Textiles de Lyon et fusionna en 1988 avec l'École Supérieure du Cuir et des Peintures, Encres et Adhésifs, issue elle-même de l'École Française de Tannerie datant de 1889, pour devenir l'I.T.E.C.H.

École Supérieure des Techniques Industrielles et des Textiles (E.S.T.I.T.) à Villeneuve d'Ascq (Nord), anciennement Institut Technique Roubaisien (I.T.R.), fut créé et dirigé en 1895 par le Chanoine Henri Philomène VASSART (1840- 1916) dans le but de "former pour la direction des usines dans les différentes branches de l'industrie textile, des hommes de devoir, de justice, de travail et de progrès". Entre 1930 et 1935, le niveau de formation scientifique fut relevé pour aboutir au diplôme d'ingénieur textile I.T.R., parallèlement à une formation de techniciens supérieurs. En 1956, la durée de formation passait à 4 ans. L'I.T.R. dirigé par des prêtres jusqu'en 1969, rejoignit entre 1960 et 1966, les autres grandes écoles de l'Université catholique de Lille et en 1967, l'I.T.R. est membre fondateur du Polytechnicum de Lille. La formation de l'ingénieur I.T.R. passait à 5 ans avec 2 options, Mécanique ou Chimie Textile, et celle du Technicien Supérieur à 2 ans. En 1982 l'I.T.R. quitta Roubaix pour s'implanter à Villeneuve d'Ascq et s'appeler E.S.T.I.T. De nouvelles options furent proposées aux étudiants: Automatisme et Informatique, puis en 1994, Développement Industriel mettant l'accent sur la dimension commerciale. Cette École a formé depuis sa fondation près de 5000 diplômés et actuellement elle forme 60 ingénieurs et techniciens par an, dont 35 % viennent de la Région Nord-Pas de Calais et quelques % de l'étranger. 

Des écoles textiles dans le Monde 

Dans le domaine de l'instruction professionnelle du tissage, de la filature, de la teinture, du dessin, de la mécanique, etc..., c'est encore l'Angleterre qui avait pris au XIXe siècle une longueur d'avance sur les pays du continent européen. Des écoles textiles furent ainsi créées à Bradford, Leeds, Glasgow, Keighley, Huddersfield (1880), Manchester, etc... dans le Lancashire et le Yorkshire, des écoles polytechniques à Kensington près de Londres, etc.

Aux États-Unis, on trouve des prémices d'enseignement textile dès 1832 à Clemson. De grandes et belles écoles techniques à Boston, Philadelphie, etc. forment des ingénieurs et des mécaniciens.

C'est en 1855 que fut créée l'École de Tissage de Reutlingen à laquelle on adjoignit un atelier de tissage mécanique en 1862. Dispensant à certains élèves le titre d'ingénieur textile à partir de 1941, l'École se développe considérablement pour atteindre des effectifs de 750 élèves dans les années 1955 avant de subir la récession générale de l'industrie textile. Dans les années 1990, elle devient École Supérieure Economique et Technique avec onze filières professionnelles, dont une textile, et forme près de 3000 étudiants.

Dans le cadre de l'École Polytechnique de Zurich (E.T.H.) fondée en 1855, fut créé en 1931 un Institut pour l'Industrie Textile et la Construction de Matériel Textile dirigé par HONEGGER. A Wattwil (Canton de Saint Gall) fut fondée en 1881 une École de Tissage à laquelle on adjoignit en 1948 une École de Filature; elle absorba les écoles textiles de Saint Gall et de Zurich pour devenir en 1973 École Suisse de Textile, Habillement et Mode (S.T.F.) qui forme des techniciens supérieurs en 2 à 3 ans.

D'autres écoles textiles en Europe forment des cadres pour l'industrie textile : en Italie à Milan et à Côme, en Belgique à Verviers (1894), en Allemagne à Aachen, Mönchengladbach, etc.  

 

22. Les prémices à Mulhouse

Notre industrie textile alsacienne risquait d'être placée dans une situation critique comparativement à nos principaux concurrents anglais. A la pointe du progrès, tant dans l'innovation du matériel que dans la production de tissus élaborés et dans la formation de l'encadrement, les Anglais nous étaient largement supérieurs en création, en qualité et en rendement. Il fallait réagir et rapidement.

Une École de tissage mécanique en 1861

Aussi, le 13 juillet 1861, le président de la S.I.M., Nicolas KOECHLIN adresse à tous les industriels de la région un appel qui expose, avec le projet de création d'une École de tissage, les services que l'on peut attendre de sa rapide réalisation. Un mois plus tard a lieu une Assemblée constitutive d'une Société Civile de l'École de Tissage mécanique (cf. Annexe N° 55) dont le président est Henri THIERRY KOECHLIN et le vice-président Fr. ENGEL-DOLLFUS avec ouverture d'une souscription. On recueille 37.000 F qui permet de faire face aux premiers frais d'installation et de fonctionnement pendant trois ans.

Au cours de cette réunion, Emile FRIES, un camarade de pension du vice-président de la SIM Gustave DOLLFUS, expose son idée de création d'une École de tissage en Alsace. Cet homme d'à peine quarante ans, énergique et doué d'une vive intelligence, avait suivi un cours de théorie de tissage au Palais des Arts à Lyon et dirigé plusieurs grands tissages de nouveautés à Lyon et à Manchester. Il venait de quitter un poste de dessinateur dans cette dernière ville et fut chargé de la Direction de la nouvelle École, de l'élaboration des cours théoriques et de l'enseignement pratique et mécanique (théorie des liages et technologie machines de tissage, dessin et construction mécanique).

Un local provisoire situé à l'angle de la Grand'rue en face de la Porte de Nesle est loué pour trois ans. Il s'agit de l'atelier de graveurs de rouleaux d'une ancienne manufacture d'indienne qui appartenait à Godefroy HEILMANN puis à André KOECHLIN & Cie (A.K.C.). L'équipement, modeste au début, s'enrichit rapidement et comprend déjà après deux ans du matériel divers prêté par différents constructeurs et notamment les Ateliers de Construction A.K.C. : des machines de tissage (cinq métiers à tisser mécaniques A.K.C., quatre anglais de 1 à 6 navettes, deux métiers à bras avec Jacquard), des machines de préparation (bobinoir, cannetière, ourdissoir, pareuse, etc.), une machine à vapeur horizontale de cinq chevaux avec chaudière et transmissions. Cette installation se fait en deux mois et le er novembre 1861, quatre mois après la première démarche, l'École ouvre ses portes à la première promotion de 9 élèves. FRIES assure l'enseignement théorique et un contremaître est embauché pour l'enseignement pratique. L'École progresse rapidement, avec 15 élèves réguliers l'année suivante et 29 en 1863/64.  

Une École de filature en 1864

Encouragée par les succès initiaux de l'École de tissage et constatant que des problèmes analogues à ceux de l'encadrement des tissages se présentent également en filature, la S.I.M. se décide de fonder également une École de filature. D'autant plus que, dans l'ère des grandes inventions techniques du XIX° siècle, des technologies modernes de filature (filage et renvidage) apparaissent sur le marché qui exigent de nouvelles connaissances techniques. 

Des structures administratives et une Société Civile de l'École de filature sont créées dans des conditions et avec un capital analogue à celles de l'École de tissage. La Direction de cette École est confiée à Jacques-Mathieu WEISS (1837- 1904) qui avait suivi des cours au Lycée CONDORCET à Paris et assisté le professeur C.R.E.S.C.A. au Conservatoire des Arts et Métiers avant de diriger la filature HARTMANN. Si, initialement, on avait envisagé de créer une filature-école avec trois assortiments complétés de 4 à 5000 broches marchant dans des conditions analogues à un atelier industriel, on abandonne ce projet pour une réalisation plus modeste. En 1864, au moment où l'École de tissage quitte son ancien local de la Grand'rue, l'École de filature y est installée. Le matériel, battage, cardes, peigneuses, bancs-à-roches, métiers à filer automatiques et à main, etc. est en grande partie fourni par André KOECHLIN & Cie. A l'instar de sa grande sœur, l'École de filature fonctionne comme un petit établissement autonome. 

Quant à (organisation de l'enseignement de la filature, il est étalé sur deux périodes, l'une de novembre à septembre, l'autre de janvier à novembre. De ce fait il n'y a que cinq élèves la première année et 22 en fin de deuxième année. Au programme initial de théorie et machines de filature dispensé par le directeur WEISS, il fallut ajouter des cours de dessin et de mécanique donnés par le professeur DRUDIN, car les connaissances dans ces matières sont largement insuffisantes. L'année suivante des cours de prix de revient et quelques notions d'économie industrielle complètent la formation. Comme à l'École de tissage, les parents sont trimestriellement informés des notes de leur rejeton et les études sanctionnées par un certificat de capacité.

Étant donné que, de bonne heure, on se rend compte que les frais pour la conduite des deux Écoles sont plus élevées que ceux d'une École unique et que, par ailleurs, le nouveau bâtiment pouvait abriter les deux institutions, on se résout, en 1868, à les fusionner.

 

23. Un enseignement évolutif

Le premier directeur Émile FRIES devait construire son cours de toutes pièces avec l'aide des industriels car, à cette époque, les théories des machines de tissage et de filature étaient à peu près inexistantes.

Du programme des études de l'École Théorique et Pratique de Tissage Mécanique publié en 1863 (Annexe N° 3), on retient surtout que l'objectif de l'enseignement est l'acquisition dans des conditions aussi proches que possibles de la pratique de connaissances technologiques encyclopédiques des processus traditionnels : "L'organisation de l'École est établie sur le pied manufacturier et constitue un établissement complet, avec force motrice à la vapeur, atelier de menuiserie et de réparations". "Plan d'études en deux divisions, théorique et d'application, passant alternativement et régulièrement de l'une à l'autre. Théorie: décomposition et analyse des tissus unis, grains, armures, façonnés, velours, gazes ; "levée" et dessin des machines, étude des meilleures implantations à donner à un tissage nouveau, établissement de plans et devis, calcul de prix de revient et de fabrication, comptabilité industrielle. Applications: travail manuel, montage, réglage, ajustage, réparations, entretien de toutes les machines; montage d'articles décomposés en théorie, "mettage", mise en marche et tissage, le tout, assisté par un contremaître. En plus, un cours spécial de deux heures est dispensé le soir pour les personnes occupées dans la journée qui désirent apprendre le tissage".  

"Conditions d'admission et dispositions générales : 600 F par an par élève pour les cours théoriques et pratiques d'une année scolaire de onze mois. Pour le cours spécial de deux heures du soir : 25 F par mois payé d'avance. Les étrangers sont admissibles à l'École au même titre que les nationaux. Un élève peut se faire admettre à toute époque de l'année et doit produire à l'entrée les bulletins ou notes de conduite et d'aptitude émanant d'autres institutions. Après l'achèvement de ses études, l'élève sera tenu de passer un examen ..."

"Règlements d'ordre et de discipline et avantages particuliers offerts par l'École : Les cours durent chaque jour de 8 heures à midi et de 14 à 18 heures, sauf le samedi où la fermeture a lieu à 16 heures. Les élèves ayant une demi-heure de retard ne seront plus admis. Les élèves travailleurs trouveront l'École ouverte à 7 heures du matin et à 13 h. Les dimanches et jours fériés légaux, l'École reste fermée. Tout ce qui peut troubler l'ordre ou le travail est défendu: bruit, chant, causeries; il est interdit de fumer et d'introduire dans l'établissement des comestibles, du vin ou des spiritueux. Aucun élève ne peut faire voir les ateliers sans l'autorisation du directeur. Les fabricants ou négociants qui désireraient des renseignements sur des genres de fabrication spéciaux et articles façonnés pourront en faire la demande au directeur; ces consultations, confidentielles avec visite de l'École, donneront lieu à une rémunération proportionnelle au temps qu'elles nécessiteront. Dans le but de faciliter aux inventeurs les essais nécessités par les améliorations et les perfectionnements à apporter aux machines de tissage, l'École offre son concours aux intéressés... "

Les structures indispensables pour la bonne marche de l'École se mettent en place avec célérité, d'abord un Comité de surveillance issu de la S.I.M. puis, en juin 1863, une Commission d'examen dont les membres sont choisis parmi les spécialistes les plus représentatifs d'entreprises textiles du Haut-Rhin. Les membres de cette Commission apposent leur signature au bas du certificat de capacité remis aux élèves à la fin de leur année d'études. De ce fait, ils doivent non seulement faire passer les examens aux élèves, mais surtout valoriser le parchemin et recommander son détenteur aux fabricants, leurs collègues, appelés à les employer. Ce principe de faire passer les épreuves de fin d'année dans les matières textiles par des examinateurs praticiens de l'industrie fonctionne durant plus d'un siècle, jusqu'à la "révolution de mai 1968" où il est aboli. C'était d'ailleurs la terreur des élèves car ces examinateurs possédaient à fond quelques questions spécifiques techniques, scientifiques et pratiques qu'ils se régalaient de poser aux étudiants.  

Comment se passent les premières épreuves à l'École, par exemple celles des sept étudiants de la promotion sortante du 23 juillet 1863 ? La Commission d'examen comprend outre le président Henri SCHWARTZ (1845-1895), membre de la C.C.I., du Conseil Municipal, de la S.I.M. et plus grand filateur de laine peignée d'Europe avec 115.000 broches en 1895, Gustave DOLLFUS, Henri ZIEGLER de Mulhouse, Théodore FREY de Guebwiller, J. GROSHEINZ de Thann, Gustave BORNEQUE de Bavilliers, R. WEERDER de Wesserling et J. DIETSCH de Sainte-Marie-aux-Mines. Le matin de 9 h à midi ont lieu les examens oraux et théoriques et après déjeuner les travaux écrits et les examens pratiques de réglage des machines. Une liste de questions est proposée à l'avance que les examinateurs ont la latitude de modifier ou d'étendre et dont ils proposent une à l'élève. En outre l'étudiant présente et explique le travail écrit dont le directeur l'a chargé de soumettre à l'examen. Chaque examinateur donne une note entre 1 et 20 à chacune des trois matières. Le directeur de l'École y ajoute une note pour la conduite et une pour l'application de l'élève, notes qui entrent pour 215 dans la note finale. Ces épreuves passées avec succès donnent lieu à l'établissement de grands parchemins de 50 x 40 cm richement ornés, un diplôme de premier ordre pour une moyenne de 15 à 20 (Annexe N° 4) ou de second ordre pour une moyenne de 13 à 14,99 (Annexe N° 5) ou d'un certificat d'études (ou de capacité) pour une moyenne de 10 à 12,99 (Annexe N° 6).  

Pour l'École Théorique et Pratique de Filature, un programme analogue est établi en 1865 (Annexe N° 7).  

Formation tous azimuts

Très tôt, le Comité d'administration et la Direction se rendent compte de l'insuffisance de la préparation des élèves, ce qui les empêche de profiter au maximum des enseignements dispensés. Plusieurs démarches sont entreprises tant pour améliorer le niveau des élèves entrants que pour parfaire l'instruction des élèves et des salariés de l'industrie.

Déjà en décembre 1862, un accord est passé avec la direction de l'École Professionnelle de Mulhouse pour organiser dans leurs classes supérieures un cours préparatoire spécial de deux heures par jour. Cette initiative est destinée à des jeunes gens intéressés par l'entrée dans l'industrie textile comme contremaîtres ou en tant que futurs élèves à l'École textile. Douze élèves suivent ce cours dès la première année. Ce nombre s'élève rapidement à une vingtaine au cours des années suivantes.

Quant à la filature, le directeur Jacques-Mathieu WEISS dispense, "sans rétribution spéciale", à partir de 1865 des cours populaires du soir à 35 élèves de 18 à 30 ans venant de l'industrie ou de l'École de Tissage et qui cherchent à s'initier ou à se perfectionner. On y trouve aussi bien des contremaîtres, fileurs, mécaniciens, dessinateurs que des employés de commerce ou d'usine. 

La même année et en 1866, l'École de Filature fait appel à Ernest STAMM, professeur aux Universités de Milan et de Turin pour donner chaque fois deux conférences à Mulhouse sur la théorie du renvidage sur self-acting, à l'aide de tableaux explicatifs et d'une têtière de métier à filer automatique. Tous les étudiants et un grand nombre de chefs d'entreprise, directeurs, contremaîtres et ouvriers assistent à ces exposés suivis de discussion. Plus tard, STAMM revient pour parler de la théorie du battage et du cardage. 

A peine a-t-on emménagé en 1865 dans la nouvelle École fraîchement construite,  qu'un nouveau projet de création d'un atelier expérimental de tissage mécanique exploité industriellement est caressé. Ce serait une possibilité de gagner de l'argent en tissant à façon pour des entreprises locales et, simultanément, de perfectionner les connaissances de contremaîtres ou de directeurs ayant déjà une expérience pratique dans l'industrie. On pensait aussi à la formation, dans ce cadre, "de futurs tisserands hors ligne propres à devenir plus tard de bons contremaîtres tout en gagnant de quoi vivre". Sitôt dit, sitôt fait. L'Assemblée générale des fondateurs de l'École vote au printemps 1866 une augmentation de capital de 30.000 F pour adjoindre dans un local de l'École un atelier de 40 métiers à tisser mécaniques avec tout le matériel de préparation conduit par du personnel autre que les élèves. Ce serait aussi pour des élèves sortant de l'École avec des connaissances théoriques et pratiques, l'occasion de vivre concrètement une expérience d'atelier avec le souci du rendement et de la direction des ouvriers. Les ouvriers eux-mêmes formeraient un noyau, un vivier de futurs bons contremaîtres. Toutefois, cette initiative fut un coup de sabre dans l'eau. Ce tissage entrant en activité en 1867 dut être fermé à peine trois ans plus tard, son rendement étant d'autant plus mauvais que la conjoncture dans le tissage devenait "néfaste" et, en conséquence, il travaillait à perte.  

En 1868, la nouvelle École de Filature et de Tissage

1867 est une année exceptionnelle par la participation à l'Exposition Universelle de Paris d'une délégation des Écoles de Tissage et de Filature de Mulhouse. Dans une vitrine de la S.I.M. sont exposées des préparations de mèches, des filés et des tissus produits à l'École ainsi que les plans détaillés de ses salles de théorie et de pratique. Une médaille d'or est décernée à la S.I.M., fondatrice de ces institutions.

La fusion des deux Écoles sous la Direction unique de Émile FRIES est décidée. Jacques-Mathieu WEISS reste l'adjoint d'Émile FRIES, mais après une année de collaboration, il préfère repartir dans l'industrie pour diriger une filature du Val d'Ajol tout en restant membre du Comité d'Administration de la nouvelle École.

Un fonds spécial est créé par l'École en 1868 pour envoyer le major de tissage en Angleterre en vue d'effectuer une "tournée industrielle".

1870 : l'élan brisé

La nouvelle École atteint une belle prospérité avec une quarantaine d'élèves par an quand, le 19 juillet 1870, NAPOLÉON III déclare la guerre à l'Allemagne. Les examens se terminent et l'École ferme ses portes le 31 juillet 1870. En septembre la Haute-Alsace subit des incursions de troupes prussiennes et le 3 octobre Mulhouse est occupée. Après l'armistice, le "Traité des Préliminaires de paix" est signé le 26 février 1871 entre la France (cédant aux vainqueurs les trois départements de l'Est, sans le Territoire de Belfort) et l'Allemagne. L'École ne rouvre ses portes qu'en avril 1871, un mois avant la signature du Traité de Paix de Francfort. Mais l'élan est brisé. Pendant les cinq premières années après la guerre, le nombre d'élèves recule à 15. Déjà en mai 1873, le vice-président du Comité d'Administration de l'École tire la sonnette d'alarme. "Le nombre d'élèves est trop faible pour faire vivre l'École". On énumère les causes possibles de cet échec, indépendamment de "l'influence fatale de la guerre : le manque de publicité faite pour l'École, la jeunesse qui néglige les ressources mises à sa disposition dans la région, plusieurs écoles analogues qui venaient de s'ouvrir en France, en Suisse et en Autriche".  

"On relève également les atouts de l'École : l'outillage complet, une École à caractère international et libre de toute ingérence gênante extérieure, (État, Municipalité, Politiques, etc...), nos élèves sont toujours accueillis par les industriels pour des visites d'usines, un directeur dynamique et de haute compétence, l'Alsace est un centre textile suffisamment grand pour pouvoir à lui seul alimenter notre École sans secours de l'étranger". Néanmoins, les faits sont là ! En mai 1874, Gustave DOLLFUS, le président du C.A. propose une nouvelle souscription auprès des industriels pour assurer la pérennité de l'École pour 3 ans, sinon ce serait la fermeture forcée par manque de moyens. Cette souscription rapporte la somme de 19.000 F et garantissait ainsi la marche de l'École pour 4 ans.  

Un autre souci découle de la diminution drastique du nombre de candidats à l'entrée, le niveau d'instruction des élèves diminue fortement par suite de la suppression de l'examen d'admission, notamment les notions de mécanique et le dessin manquent complètement. A partir de ce moment, la Commission d'examen se transforme en conseil pédagogique, se rendant plusieurs fois par an à l'École, prodiguant encouragements et conseils aux élèves. De nouveaux cours dispensés par le professeur DANZER devaient compenser les lacunes : mécanique (transformation des mouvements, force, travail), moteurs à vapeur et hydrauliques, appareils à vapeur, chauffage et combustibles, comptabilité commerciale.

Un second départ

Enfin, à partir de 1877, on voit renaître l'espoir avec des promotions d'une trentaine d'élèves qui vont en augmentant jusqu'aux années 1910 où elles dépassent la cinquantaine. On introduit un examen d'admission avec contrôle des connaissances afin de relever le niveau. En 1878, des cours supplémentaires sont également ajoutés : dessin, préparation de plans et de devis d'établissements de filature et tissage.

Si la durée normale des études est de deux années, dont une en filature et une en tissage, des élèves avec une bonne formation initiale, doués et travailleurs, avaient la possibilité de faire les deux sections en une année de séjour, ce qui arrivait à quelques rares élus.

Après l'agrandissement des bâtiments et le renouvellement du parc de matériel dans les années 1880, on réorganise également les programmes d'études, notamment à cause de l'instruction de base insuffisante des élèves et pour relever le niveau des études en leur permettant une incursion plus facile dans le domaine théorique. On procède à une révision des cours soutenus par des interrogations fréquentes : cours de filature avec élargissement à la laine, cours de tissage, théorique et pratique, travaux pratiques sous la surveillance de bons contremaîtres sur du matériel produisant des filés ou des tissus. Refonte des autres cours en les rendant obligatoires: mécanique élémentaire et appliquée, comptabilité, physique et chimie industrielles (comme au début il présentait des difficultés d'organisation, ce cours est d'abord fondu avec celui de mécanique), étude de la chaleur, des générateurs et des mouvements des gaz, électricité pour l'éclairage et les moteurs, notions de chimie nécessaires aux apprêts, comptabilité générale. En 1885, on est obligé d'admettre qu'il y a "deux catégories bien distinctes d'élèves, l'une distinguée pour les futurs chefs d'ateliers, l'autre médiocre pour les ignorants dont il fallait d'abord assurer une préparation en dessin et mathématique".

Par ailleurs, au niveau du recrutement et du placement des jeunes, la concurrence d'autres Écoles en France et à l'étranger ouvertes à partir des années 1880 se fait sentir. Le patronat haut-rhinois, à l'indépendance sourcilleuse, souligne que ces  Écoles, contrairement à celle de Mulhouse qui s'autofinance, sont largement subventionnées par l'État, les villes ou des institutions diverses. Néanmoins, "nous sommes sur la bonne voie, affirme-t-il, les armes pour vaincre la concurrence seront la supériorité de notre enseignement". Un peu plus tard, le président du Comité d'administration De LACROIX se rassure en estimant que "les écoles rivales fournissent plutôt des contremaîtres que des directeurs".  

En 1885, le directeur Emile FRIES qui a porté pendant 24 ans "son École" contre vents et marées à travers toutes les difficultés, âgé et fatigué, demande à prendre une retraite bien méritée. Son fils Henry a d'ailleurs fréquenté l'École en 1881 et sera plus tard directeur-gérant de DOLLFUS & NOACK à Sausheim. Oscar WILD (1849- 1897), un ancien élève sorti de l'École en 1877 qui avait dirigé pendant quelques années un tissage de Mulhouse, assumera la Direction de l'École à partir de 1885.  

Enseignement français puis bilingue

Dès avril 1871, l'administration allemande introduit en Alsace annexée, en même temps que l'obligation scolaire (Jules FERRY ne le fait en France que douze ans plus tard) l'allemand comme langue d'enseignement au primaire, donc la suppression de la langue française à l'école communale. Le français subsiste comme langue étrangère dans les collèges et lycées. Certains journaux continuent à paraître en français, la population et les banques calculent toujours en Francs jusqu'en 1891 alors que le Mark a été introduit en 1874 (la parité, extrêmement stable pendant des décennies, est de 1,25 F pour 1 Mark). La S.I.M. n'a jamais interrompu, entre 1870 et 1914, la publication en langue française de son Bulletin mensuel - par ailleurs, une immense source d'informations, notamment pour l'historien -.

Mais l'administration allemande supportait de moins en moins cette École textile où tout le monde, du directeur à la plupart des élèves, non seulement parle français, mais exhibe ostensiblement des sentiments profrançais. Néanmoins la politique de germanisation avance, même si c'est à petits pas. En 1892, l'École est obligée de dispenser un cours de filature en langue allemande, obligatoire pour les élèves alsaciens et quelques rares Allemands. C'est d'ailleurs un ancien élève sorti major en 1887, Henry BRUGGEMANN, venant de Cologne, qui devient professeur de filature à l'âge de 25 ans. En juin 1894, à la suite d'un "incident politique" que nous avons relaté ailleurs, on se voit obligé d'enseigner aux Alsaciens tous les cours en langue allemande. Toutefois, pour les étrangers, on continue à professer en langue française jusqu'en 1914. Cet enseignement bilingue représente une surcharge considérable pour les professeurs qui devaient pratiquement dédoubler leurs cours.  

Mais de ce fait, certains obstacles de langue et de frontière sont écartés. L'École lance une campagne de publicité à travers l'Europe dans l'espoir d'augmenter le nombre de ses élèves. Effectivement, " l'administration allemande a compris la correction de l'attitude de la Direction de l'École, inspirée du seul désir d'élever l'enseignement et d'être utile à une classe intéressante, celle des fils de contremaîtres et d'employés de notre pays". L'accroissement des effectifs est dû en grande partie à l'afflux d'étudiants français attirés par Mulhouse à cause de ses industries diverses et ses ateliers de construction, même si, au cours des vingt dernières années, plusieurs écoles textiles furent fondées en France. On relève ainsi "qu'en renonçant à l'enseignement bilingue, l'École perdrait la moitié de ses élèves que représente le contingent des étrangers car, même les Vieux Allemands viennent faire leurs études à Mulhouse pour apprendre, selon leur propre aveu, la langue française. Pour notre École, cela devient donc une question de vie ou de mort". De toute façon, l'Alsace et l'Allemagne ne fournissent qu'un tiers des effectifs, ce qui justifie l'enseignement bilingue.  

Malheureusement, en juin 1897, en plein élan d'expansion, la mort prématurée du directeur Oscar WILD vient endeuiller l'École. Toutefois, les deux professeurs de filature et de tissage terminent normalement les cours et les examens se passent à la date prévue de fin juillet. Se pose alors le problème de trouver un nouveau directeur. BRUGGEMANN, professeur compétent de filature qui assure l'intérim de direction, qui professera plus tard également à l'École de chimie la législation des brevets ainsi que la filature et le tissage des différentes fibres textiles, est pressenti et son mérite n'est contesté par personne. Toutefois, comme il avait à peine 30 ans, "le Comité ne le jugea pas assez mûr pour cette délicate fonction". En réalité, mais ceci n'est ni dit officiellement ni surtout écrit dans les procès-verbaux, les industriels mulhousiens ne veulent pas confier, à l'instar de ce qu'ils firent pour l'École de chimie, l'École textile de Mulhouse à un Prussien. Par bonheur, un ancien professeur de mécanique et ancien sous-directeur de l'École, ingénieur de l'École Centrale de  Paris, ayant dirigé des tissages importants à Mulhouse entre 1871 et 1896, l'Alsacien Albert ROHR (1847- 1914), se trouve en disponibilité. Il prendra la succession de Oscar WILD et demande la création d'un conseil permanent de perfectionnement dont la mission serait de réviser les programmes, les cours et les règlements. Ce conseil, composé de deux sections, filature et tissage, comprenant le personnel enseignant, des praticiens de l'industrie et les examinateurs, donnerait des avis. Dans la foulée on supprime le cours de comptabilité et, avec les économies ainsi réalisées, on améliore les émoluments des contremaîtres.  

Vers la fin du siècle, avec la mode des tissus fantaisie et articles spéciaux, on se rend compte de l'importance de l'enseignement des armures fantaisie pour former de bons échantillonneurs, des techniciens artistes. "Nous ne pouvons pas rester dans le tissage ordinaire avec nos prix élevés de main d'œuvre, déclare en 1899 Camille De LACROIX, l'Alsace ne prospérera dans la Grande Allemagne (sic) qu'en s'appliquant à demeurer l'initiatrice de la mode et de la nouveauté". Étant donné que dans peu d'écoles on enseignait parallèlement au tissage le dessin d'imitation, on institue à côté de notre cours d'échantillonnage un cours de dessin d'imitation, bien que l'École de dessin et de gravure le professait déjà en ville. En complément du tissage du coton et de la laine, on introduit au début du siècle le tissage de la soie, du lin et du tapis, en achetant un métier à tisser le tapis.  

Le régime des études est remis en cause au début du siècle. Faudrait-il créer une classe préparatoire et n'admettre aux cours spéciaux que les élèves qui, aux examens d'entrée, auraient fait preuve de connaissances générales suffisantes ? Une année d'études semblerait à peine suffisante, d'autant que dans certaines écoles la formation dure deux voire trois ans. Mais la concrétisation de ces idées se heurterait au problème du recrutement car les ressources de nos jeunes, généralement sans fortune, ne seraient pas suffisantes. La question de la formation de base est également discutée au cours de l'A.G. des Anciens de 1904 où l'on recommande vivement aux jeunes de fréquenter d'abord une École industrielle, notamment les cours complets de l'École des apprentis de Mulhouse qui venait d'être créée, suivis d'un stage de quelques mois dans une filature ou dans un tissage. Malgré tous les efforts, on signale chaque année l'insuffisance des connaissances scientifiques des élèves à l'entrée. Dans un moment de découragement, Albert ROHR déclare en 1908 que "la valeur moyenne des élèves de tissage n'a jamais été aussi faible depuis son arrivée à l'École en 1897. De plus, comme l'État est chaque jour plus avide d'interventions et de réglementations et que les administrations allemandes pèsent d'une main de plus en plus lourde sur certaines institutions de la S.I.M., l'avenir n'apportera rien de bien".

En dépit de ces déboires, la qualité de l'enseignement et le nombre d'élèves progressent. Les années 1910 et 1911 annoncent des records de 69 et 72 élèves. Les développements rapides des techniques nouvelles obligent les professeurs à actualiser continuellement leurs cours. Le professeur KAMMERER, ingénieur en chef de l'Association des propriétaires d'appareils à vapeur, captive son auditoire avec son nouveau cours d'électricité, un autre nouveau professeur, self-made man, dispense avec succès des cours de moteurs, chaudières et générateurs. On décide de relever le coefficient de ces matières dans les notes de classement. Un professeur de l'École de chimie est engagé pour des cours de blanchiment et teinture sur filés et d'analyse de tissus.

Des cours de perfectionnement pour les actifs

A l'instar des cours initiés dans les années 1862 à 1865 et destinés à un public extérieur à l'École, l'idée de créer une école de contremaîtres pour l'industrie textile est relancée en 1908 par l'Association des Anciens élèves. La Municipalité semblait disposée à favoriser une telle création analogue à l'École technique des Apprentis déjà existante. Les Anciens qui feraient partie du Conseil d'administration et élaboreraient le programme d'études de cette école, expriment leurs craintes de voir la ville agir trop bureaucratiquement et les industriels de la SIM trop autoritairement en tirant la couverture à eux. Finalement, cette école de perfectionnement pour contremaîtres, mécaniciens et employés de l'industrie et du commerce est organisée par la S.I.M. en cours du soir avec le professeur AUER de l'École textile dispensant des leçons de tissage et décomposition des tissus. Dès la première année en 1910, on enregistre 29 personnes, puis entre 20 et 30.  

Le cataclysme mondial de 1914- 1918

L'année 1913 est caractérisée, pour des raisons politico-militaires, par la défection des jeunes de sorte que le nombre des élèves tombe à 38. D'autre part, les étudiants éprouvent du mal à se placer comme stagiaires débutants et le professeur de filature BRUGGEMANN les prend dans son bureau comme aide en attendant qu'ils se placent dans l'industrie. D'ailleurs cette année-là, BRUGGEMANN quitte l'École pour se consacrer entièrement à ses activités de bureau d'expertise et de rédacteur et est remplacé par SCHIRMER, également un Ancien de l'École. Quant au directeur Albert ROHR, il exprime le souhait de se retirer mais doit rester jusqu'en 1914, mourant à la tâche au mois de mai. La Direction est alors confiée à Fritz ORTLIEB, sorti de l'École en 1897. Un nouveau cataclysme s'abat sur l'Europe et notamment sur l'Alsace, au moment où, le 31 juillet 1914, la distribution de 29 diplômes vient de se terminer.  

Le ler août 1914, l'Allemagne déclare la guerre à la Russie et le 3 août la France. Le 4 août les troupes allemandes entrent en Belgique et la Grande-Bretagne déclare la guerre à l'Allemagne. L'Europe s'embrase. Dès le début des hostilités, les troupes françaises avancent à deux reprises jusqu'à Mulhouse pour refluer finalement à une vingtaine de km de notre ville jusqu'à la fin de la guerre. Mulhouse, zone de front, reste soumis à l'arbitraire militaire allemand.

L'École doit rester fermée durant toutes les hostilités, d'autant qu'elle "n'avait jamais été en odeur de sainteté durant les 47 années d'occupation allemande". En réalité, elle fut toujours considérée par les autorités allemandes comme un foyer de propagande française, avec ses cours professés en langue française, avec de nombreux industriels, enseignants et élèves français et alsaciens dont la mentalité francophile était notoire. Et l'École l'était en fait. En conséquence, une demande de réouvertu re de l'École adressée à l'administration allemande fin 1914 est rejetée. Au contraire, les Allemands ordonnent en 1915 une enquête dans le but de placer l'École sous séquestre en tant qu'institution ennemie. Le président du Conseil d'administration et ancien député Théodore SCHLUMBERGER et le directeur Fritz ORTLIEB restés sur place, s'ils n'ont pas réussi à empêcher la mise sous séquestre, ont néanmoins repoussé cette échéance jusqu'au mois d'octobre 1918, trois semaines avant la débâcle allemande. Mieux encore, on a même utilisé ce temps d'inactivité de l'École pour améliorer l'aménagement des immeubles, en vue d'accueillir des promotions plus importantes dès le retour à la paix.

Bâtiments et matériels sont restés intacts et des matières premières sauvées. Les dirigeants se mettent immédiatement à l'œuvre et les cours reprennent, les premiers de toutes les écoles du secteur, le 1er février 1919 avec 57 élèves, la plupart Alsaciens, certains encore en uniforme. Après avoir "avalé" le programme annuel en 7 mois 112, 49 élèves passent les examens avec succès le 12 septembre 1919. Pour la rentrée suivante, comme à l'École de Chimie, affluence record avec 120 élèves, le double d'une promotion normale, dont 60 Français pour la plupart démobilisés entre temps. Les professeurs ORTLIEB, KLEIN et BURGARDT, dans un assaut de dévouement, sont obligés de dédoubler leurs cours.  

Un nouveau visage : l'École Supérieure en 1919

Si la guerre faisait rage et les activités de l'Association des Anciens de Mulhouse mises en sommeil, il n'en est pas de même des Anciens du groupe régional d'Épinal. En effet, en octobre 1915, une réunion de huit Anciens du remuant groupe régional des Vosges engage "une discussion sur la réorganisation de l'École et sur la transformation indispensable des statuts de l'Association dont la plupart des articles sont à modifier ou à remplacer". Le lieutenant Henri BONDOIT installé à Chevilly (Loiret) soumet, dans une édition provisoire du Bulletin de l'Association N° 1, les réflexions, entre autres, sur l'avenir de l'École : "La guerre, considérée au point de vue exclusif de nos intérêts mulhousiens, est un événement dont nous devons nous féliciter. En éliminant des éléments germanophiles remuants, elle fera disparaître tous les points de friction - malheureusement trop nombreux - qui ont entravé la bonne gestion de notre Association.

Raisons essentielles d'une réorganisation de l'École :

le programme de l'École ne contient pas tout ce qu'il faut pour faire d'un diplômé un directeur parfaitement documenté :  

- études du domaine d'ingénieur : mécanique, machines à vapeur, moteurs, électricité, hydraulique,

-  économie : droit commercial, législation du travail, étude de marchés textiles, organisation, direction des usines, comptabilité,

complément d'études textiles : fibres, botanique, chimie tinctoriale, apprêts.

Comme corollaire, prolongation des études: filature 2 ans, tissage 2 ans, filature et tissage 3 ans. La 1 ère année partiellement commune aux deux sections comprendrait des cours de révision, math, matières textiles, notions de chimie tinctoriale, etc..."

"En conséquence, transformer, comme pour l'École de Chimie, le titre de l'École en "École Supérieure de Filature et de Tissage" ; créer comme sanction des études un diplôme d'ingénieur en filature etc... ; augmenter le corps professoral et organiser des conférences par des industriels ou anciens élèves. Il faudra reconstruire l'École en presque totalité... avec salles de cours, d'échantillonnage, de dessin, amphi de 150 places, laboratoire, musée-bibliothèque, ateliers, bureaux des prof., appartement de la Direction, etc... L'Association devra être représentée au sein du Comité d'administration de l'École". Vaste programme ! ...

Dès 1919, l'École s'approprie le nouveau nom d'École Supérieure de Filature et Tissage. "Bien que prétentieux, souligne De LACROIX, il était bien mérité après la réorganisation complète des cours et l'élévation du niveau des études suite aux concours d'entrée". Devant l'affluence des étudiants, il fallut dédoubler les séances de travaux pratiques en demi-sections chaque jours de 10 h à midi et de 14 à 16 heures, les cours théoriques ayant lieu le matin de 8 à 10 h et le soir. Au tissage, on déplaçait des moteurs individuels transportables pour faire marcher les métiers indispensables.

En 1920, si l'on n'a pas entièrement reconstruit l'École selon les vœux des Spinaliens, on augmentait sérieusement sa surface pour un budget de plus de 450.000 F. Le nouvel amphithéâtre permettant d'accueillir les deux promotions réunies est inauguré en janvier 1921.

En 1923, la Direction de l'École présente une plaquette de 24 pages illustrées (Annexe N° 8) avec le nouveau programme d'études en refondant entièrement les cours de filature, de tissage et d'instruction générale et en les complétant en 1924 par une section de bonneterie. Cours de filature : Matières textiles, titrage, technologie de filature coton, laine peignée et cardée, autres matières ; cours de tissage : matières premières, filature et retordage de ces matières, machines de préparation et de tissage, théorie de liage, échantillonnage, fabrication ; cours de bonneterie : machines, mailles cueillies, métiers chaîne, tricots, confection, etc... ; cours d'instruction générale : mécanique cinématique, appliquée, dynamique et statique, chaudières et moteurs, électricité, résistance des matériaux, éléments de machines, technologie, chimie textile, droit, finances et comptabilité, marchés de coton.  

A cette époque, les frais de scolarité se montent pour les élèves français suivant les deux cours à 7000 F par an, 10.000 F pour les étrangers, en plus des frais de fournitures et d'assurance accidents.  

 

Cours préparatoires et de perfectionnement

Durant les vacances d'été 1920, on organise, dans le but de mieux préparer les élèves à l'entrée à l'École, des cours de mise à niveau. Ces cours préparatoires devaient garantir annuellement une vingtaine de recrues bien initiées. Si, en 1930, on compte encore 27 élèves à ce cours de vacances, l'année suivante, la crise textile faisant rage, il est supprimé, faute d'inscriptions.

Par ailleurs, à la même époque le Lycée de Mulhouse tient compte des souhaits exprimés par l'École en dispensant dans sa section scientifique un enseignement mieux gradué, ce qui permet d'avoir annuellement une quinzaine d'élèves sérieusement préparés. Une classe préparatoire à l'École Professionnelle de Mulhouse fonctionne depuis 1921 pour fournir un petit contingent d'élèves à l'École de Filature et Tissage mais, par suite de la crise textile, elle est supprimée par le Recteur d'académie en 1932 en raison des faibles effectifs.

Les cours du soir organisés par la S.I.M., destinés aux contremaîtres de tissage et autres actifs de l'industrie et du commerce textiles, reprennent dès l'automne 1919 sur de nouvelles bases plus solides. Bien que moins bien fréquentés à cause de l'augmentation substantielle de l'écolage, ils procurent des ressources supplémentaires à l'École. Ils ont lieu deux fois par semaine de 20 à 22 heures de début décembre à juin et comportent les matières suivantes : dessin et croquis industriels, matières textiles, notions de filature, tissage machine et théorie de liage, travaux pratiques et réglage des machines. Ils sont dispensés en partie en dialecte alsacien et sanctionnés par un examen. Entre 1921 et 1929, 50 à 80 adultes suivent ces cours. Des cours semblables sont réclamés pour la filature. En raison de la crise, les cours du soir ne pouvaient plus être autofinancés et sont supprimés durant les années 1932 et 1933 pour reprendre avec 32 inscrits en 1934. Avec la reprise des affaires à partir des années 1937, on enregistre jusqu'à la guerre entre 40 et 50 élèves aux cours du soir qui profitent également du patronage de l'Alliance Corporative. Ce cours de perfectionnement pour les employés d'entreprises textiles devait être dédoublé en octobre 1938 par une formation du mardi matin. Il fallut en outre organiser un autre cours professionnel de tissage à Châtenois (Bas-Rhin) dispensé par deux professeurs de l'École de Mulhouse (dont un en langue alsacienne) pour une quarantaine d'élèves les samedis de 14 à 17 heures pendant l'hiver. Ce même cours a dû être repris à Rothau en hiver 1939.

 

24. Combat pour le titre d'ingénieur

A l'Assemblée générale des Anciens de juillet 1922 est formulée une demande au Ministre de l'Instruction Publique afin que le gouvernement autorise les élèves de l'École de Mulhouse à prendre le titre d'ingénieur textile. Camille De LACROIX, président du Conseil d'Administration de l'École, fidèle à l'esprit des manufacturiers mulhousiens, soupire en décembre 1922 "Si nous pouvions donner un brevet signé d'un sous-secrétaire d'État, notre recrutement serait certainement meilleur. Mais pour être reconnu par l'État, il nous faudrait renoncer à cette indépendance... mais nous sommes enfants de Mulhouse, francs-tireurs dans le sang... ".

Branle-bas de combat au Comité de l'Association des Anciens en été 1923. Le président du groupe régional des Anciens de Paris envoie un extrait de presse en provenance de l'École Supérieure de Filature et Tissage de l'Est à Épinal, (Annexe N° 9) publié dans un journal alsacien, signalant "qu'elle est habilitée à recevoir l'instruction militaire supérieure, qu'elle se classe parmi les premières du Continent et que c'est la seule École à décerner le Brevet d'Ingénieur Textile visé par le sous-secrétaire d'État à l'Enseignement Technique, etc...". Les Anciens de l'École de Mulhouse se rebiffent en estimant qu'il "est inadmissible qu'Épinal ait des privilèges aussi intéressants alors que Mulhouse, la première et la plus ancienne de France ne les ait pas" et demandent d'effectuer des démarches auprès de Daniel MIEG, président de la S.I.M. Malheureusement, Mulhouse est bien plus éloigné de Paris qu'Épinal, politiquement, et Frédéric ORTLIEB calme le jeu par quelques explications embarrassées.

Néanmoins un premier résultat est acquis en automne 1923 avec l'autorisation accordée à l'École par décret ministériel d'être admise à la Préparation Militaire Supérieure (P.M.S.). 46 étudiants suivent cette instruction en première et deuxième année et 7 sont reçus. Les années suivantes une trentaine de candidats s'inscrivent à cette formation de P.M.S. durant deux ans. Plus tard, entre 2 et 5 candidats réussissent annuellement le brevet P.M.S. et une demi-douzaine le peloton de sous-officier de réserve. Suite au décret du 10 août 1938, seuls les élèves ingénieurs sont admis à la P.M.S. ce qui fait fondre les effectifs.

De 1924 à 1937

Les démarches pour l'obtention du titre d'ingénieur aboutissent en 1924 à la solution souhaitée : on accorde le brevet d'ingénieur textile de l'E.S.F.T.B. (Annexe N° 10) aux élèves ayant suivi les cours pendant deux ans et obtenu dans chaque section un diplôme de 1er ordre (moyenne 16 sur 20 à partir des années 1925). Quatorze brevets d'ingénieurs sont ainsi décernés pour la première fois en été 1925 et ce système dure jusqu'à la fin de l'année scolaire 1937.

En 1930 le directeur Frédéric ORTLIEB publie une nouvelle plaquette luxueuse de 36 pages format 19 x 29 cm avec le programme rénové des études de filature, tissage, bonneterie et d'instruction générale obligatoire et facultative (commerce de cotons bruts, droit, finances et comptabilité). Les conditions d'admission sont plus sévères et on propose aussi des cours de vacances pour les candidats devant passer un examen d'admission. Les frais de scolarité se montent à 4000 F par an pour les nationaux et 6000 F pour les étrangers, en plus des frais de fournitures et d'assurance. L'École accorde des demi ou quart de bourses aux élèves français méritants.  

Une nouvelle étape est entamée à la suite de l'application de la loi du 10 juillet 1934 instituant une Commission des Titres d'Ingénieurs. En réponse à la requête du Conseil d'administration et de la Direction de l'École, le ministère de l'Éducation Nationale rend son jugement, publié au journal Officiel du 26 juillet 1936 : "La Société de l'E.S.F.T.B.M. pourra, dans l'avenir, délivrer un titre d'ingénieur libellé ainsi : diplôme d'Ingénieur Textile délivré par l'École Supérieure de Filature, Tissage et Bonneterie de Mulhouse. Les personnes ayant acquis ces diplômes dans le passé pourront en faire usage dans l'avenir lorsqu'il aura été procédé à la formalité de dépôt prévue par l'article 9 de ladite loi". En 1953, le directeur Victor HILDEBRAND rappelle que le Brevet d'Ingénieur Textile décerné aux élèves dans les années 1925 à 1936 est assimilé au titre d'Ingénieur Textile.

Toutefois, une profonde réforme de l'organisation scolaire est imposée par la Commission des Titres à toutes les écoles décernant le diplôme d'ingénieur textile. Une lettre adressée à notre École par ladite Commission le 14 juin 1937 précise les conditions à remplir lors de la création d'une section spéciale d'ingénieurs en octobre 1937 :

-  recrutement par examen niveau baccalauréat mathématiques complet,

-  trois années d'études,

-  culture générale scientifique, notamment mathématiques, physique et chimie, et culture générale technique, en principe 1 h 1/2 de cours par jour,

le reste du temps culture technique professionnelle.  

Le ministre de l'Éducation Nationale précise "l'an prochain à pareille époque il sera procédé à une nouvelle inspection de votre École. Si vous ne vous êtes pas conformés aux vues de la Commission... nous serions amenés à retirer le droit accordé à des écoles privées de décerner le diplôme d'ingénieur". Le Comité d'admistration de l'École réuni le 28 juin décide de se conformer à cette nouvelle organisation qui prévoit trois catégories d'élèves :

- section ingénieurs diplômés, avec 3 ans d'études, admission des élèves avec le baccalauréat complet (séries scientifiques),

-  section brevet textile, avec deux années d'études, admission des élèves avec le baccalauréat 1 ° partie,

-  section diplôme en Filature ou en Tissage ou en Bonneterie avec une année d'études, admission des élèves titulaires du brevet industriel d'une École Pratique du Commerce et d'Industrie.

Avec cette nouvelle organisation, l'École est obligée de consacrer des sommes importantes à l'engagement de professeurs spécialisés et à l'installation de laboratoires de technologie, physique et chimie indispensables pour l'enseignement scientifique. En outre, le jury d'examen est nommé par le Ministère et présidé par un Inspecteur général de l'Enseignement technique.  

Le directeur de l'École Frédéric ORTLIEB donne les informations sur ces changements fondamentaux dans l'organisation de l'École à l'Assemblée générale de l'Association des Anciens en été 1938. A partir d'octobre 1937, dans la section ingénieurs, 14 élèves suivent les cours de première année, 12 passent en deuxième année, les derniers brevets d'ingénieur textile après deux années d'études sont décernés en été 1938. D'ailleurs, cette réorganisation et le ralentissement de la crise font augmenter le nombre de candidats à l'entrée. Malgré la complexité des programmes que cette nouvelle organisation a posée provisoirement au corps professoral, 90 % des élèves subissent avec succès les examens de fin d'année 1938.  

En 1939, l'organisation d'une quatrième section est envisagée pour des ingénieurs d'autres écoles désireux d'acquérir des connaissances en matières textiles avec une durée d'études d'une année, sanctionnée par le diplôme d'ingénieur textile.  

L'enfer de la guerre de 1939 à 1945

Pour la troisième fois depuis sa création, l'École subit le douloureux sort de sa province, l'annexion de fait par l'Allemagne hitlérienne dans des conditions particulièrement tragiques.

La dernière année scolaire avant la guerre 1939/45 a commencé sous d'heureux auspices. A la suite de l'institution de la section ingénieur en 1937, les effectifs vont en augmentant pour atteindre, en automne 1938, 99 étudiants dont 74 étrangers, 25 Français dont 5 Alsaciens. Cette année est perturbée par la mobilisation de certains professeurs et étudiants et par le rappel d'élèves étrangers. Néanmoins les examens de fin d'année ont lieu en été 1939 aux dates prévues et 72 candidats y sont admis.

Réfugiés indésirables

Pour la nouvelle année 1939/40 de nombreuses inscriptions laissent augurer d'une année record. Mais Mulhouse étant à la portée de l'artillerie allemande, la déclaration de la guerre force la Direction de l'École à choisir entre sa fermeture ou son transfert en des endroits plus sûrs dans les départements français de l'Intérieur. A l'instar de l'École de Chimie qui se replie dès l'automne 1939 à Toulouse et par la suite à Lyon, notre Direction, avec l'appui des autorités et de la Direction Générale de (Enseignement technique, cherche des locaux à Dijon, Roanne, Lyon, Épinal, Elbeuf pour s'y installer provisoirement pendant la durée des hostilités. En vain. Personne ne voulant de cette École, le Conseil d'Administration se voit contraint en novembre 1939, la mort dans l'âme, de fermer l'établissement et de renvoyer les élèves inscrits.

Après l'invasion de l'Alsace par l'armée allemande en juin 1940, le directeur Frédéric ORTLIEB qui venait d'être promu en août 1939 Chevalier de la Légion d'Honneur, reste à son poste pour garder l'École et veiller au bon entretien de ses installations. Il prend contact avec les autorités d'occupation en vue de reprendre (activité tout en conservant à l'École le caractère d'indépendance dont elle avait joui depuis l'origine. Mais, comme il fallait s'y attendre, les Allemands prennent petit à petit possession de l'École pour s'y installer. Alors, plutôt que de signer des déclarations de loyalisme qu'on lui présente, explique Frédéric ORTLIEB qui a 63 ans, il préfère demander sa retraite. Il quitte son logement qu'il a occupé à l'École pendant 28 ans mais a pris soin de mettre les archives de l'École en lieu sûr.

Annexion nazie de 1940 à 1944

En mars 1941 arrive un professeur allemand qui devait commencer à organiser des cours du soir pour contremaîtres et débutants. Le 1er décembre 1941 le directeur allemand de l'École Textile de Chemnitz, Oberstudienrat BAUER, vient s'installer dans notre École. Le 1er avril 1942, elle reprend officiellement ses activités d'enseignement sous le nom de "Staatliche Textilfachschule", d'abord pour l'instruction de contremaîtres et de techniciens et l'année suivante, sous le nom de "Textilingenieur Schule" pour la formation d'ingénieurs. Durant ces trois années d'occupation, l'École a formé une soixantaine de techniciens et cinq ingénieurs. Grâce à cette École, un certain nombre de jeunes Alsaciens a également pu reculer la date fatidique de l'enrôlement de force dans l'armée allemande.

Un enseignement de 36 heures hebdomadaires est dispensé par le directeur BAUER pour la théorie de liage en tissage et par des professeurs allemands, JANSEN, venant de Nordhorn, pour la technologie de filature, BULWER pour les matières textiles, l'échantillonnage, la métrologie et une initiation à la filature (pour le tissage), au tissage (pour la filature) et au finissage, KLOTTER de Heidelberg pour la mécanique, le dessin, etc. Ce dernier prend également en charge l'instruction politique nazie! Quelques Alsaciens, anciens élèves de notre École engagés dans l'industrie, complètent le corps professoral en tant que vacataires: les ingénieurs à la S.A.C.M. Émile MIESCH (promo 1925), Gaston MARTIN (1901-1968, promo 1920), René SINGER (promo 1926), pour le tissage et l'échantillonnage. Des techniciens instructeurs dont Jean GSELL (de 1928 à 1947) pour la préparation tissage et la bonneterie, et de l'été 1942 à fin 1944, Paul STAAD pour les travaux pratiques, Joseph KOLLIFRATH pour la filature, etc. s'occupent de la formation en atelier. En été 1944, plusieurs étudiants sont embauchés pour des travaux de laboratoire et d'assistance aux professeurs. Dans la cour de l'École, des élèves creusent des abris anti-aériens.

Un an de flottement en 1945

Ce directeur allemand et son personnel restent en fonction jusqu'en novembre 1944. Grâce à l'avancée rapide des troupes françaises de libération, les Allemands, quittant précipitamment Mulhouse, ont laissé tout en plan. Les bâtiments et installations sont sortis indemnes de la tourmente . Début 1945, l'ancien directeur Frédéric ORTLIEB remet les archives françaises en place, mais, âgé de 67 ans, il exprime le désir de ne pas reprendre la charge de la Direction de l'École. Le Conseil l'appelle à siéger en son sein en le nommant membre du Comité d'Administration. Lavis de la Commission d'Épuration du Comité de Libération du Haut-Rhin installé à la Sous-préfecture de Mulhouse est sollicité avant de réintégrer certains enseignants alsaciens. En avril 1945, une partie des membres du Comité de l'Association des Anciens Élèves se réunit pour la première fois après la guerre pour s'inquiéter de l'inertie du Conseil d'Administration de l'École dépourvue de Direction et de corps professoral. Frédéric ORTLIEB y fait un rapport sur l'évolution de l'École depuis 1919 et notamment pendant la sinistre période de l'occupation. L'ancien directeur souligne le danger grave qui menace l'École si la situation de léthargie actuelle devait se prolonger. Le Comité décide d'effectuer une démarche auprès de Jean DOLLFUS, président de la S.I.M. et vice-président du C.A. de l'École, rentré depuis peu à Mulhouse, en l'absence de Paul SCHLUMBERGER, président du C.A. de l'École et président d'honneur de l'Association, pour connaître ses intentions à l'égard de notre École.  

Après une période de flottement, la Direction de l'École est confiée à Léon SCHULTZ qui entre en fonction le ler août 1945 mais doit se retirer au bout de trois mois pour raison de santé. A partir de cette date, Gaston MARTIN, professeur de tissage, dirige l'École par intérim et Victor HILDEBRAND, professeur de tissage et de bonneterie, est chargé par le Conseil de recruter les professeurs et de réorganiser les cours au niveau d'avant-guerre. BURNER et LEHÉ en filature, MARTIN et MITTERAND en tissage et LALLEMAND en bonneterie forment la première équipe de base d'après guerre. Les cours d'instruction générale sont dispensés par les mêmes professeurs vacataires qu'avant la guerre. A l'instar de l'École de Chimie qui reprit ses activités en octobre 1945, l'École rouvre ses portes le 15 novembre 1945 à 129 élèves dont 113 Français et 16 étrangers. Les frais de scolarité se montent alors à 13.000 F annuellement pour les nationaux et 19.000 F pour les étrangers, l'année suivante resp. 17.000 et 25.000F. Une cérémonie officielle de rentrée a lieu le 8 janvier 1946 en présence du Commissaire de la République BOLLAERT, du Préfet du Haut-Rhin PAIRA, du Maire de Mulhouse WICKY, du Doyen de la Faculté des Sciences de Strasbourg WEISS, du Président de la SIM Jean DOLLFUS, du Président de l'Association des Anciens Élèves Pierre LAVER, du Conseil d'Administration, des professeurs, des élèves, etc... Victor HILDEBRAND prend officiellement la Direction de l'École en mars 1946.

C'est le début d'une longue période de profonde adaptation.

25. Vers la nationalisation

Le perfectionnement constant des programmes et le rehaussement du niveau polytechnique du titre d'ingénieur nécessitent des moyens accrus. La superbe affirmation de l'esprit franc-tireur mulhousien de 1922 est battue en brèche. L'ancienne structure de l'École privée indépendante, sous l'égide de la S.I.M., ne semble plus répondre aux nouvelles exigences de ressources. Le Comité de Direction de l'École doit envisager une réforme lui permettant de s'appuyer davantage sur le soutien de l'État. Tant pis pour l'indépendance. A l'Assemblée générale des Anciens de juin 1958, Victor HILDEBRAND se posant la question fondamentale sur la justification de cinq grandes écoles textiles en France au vu de la désaffection des jeunes pour l'industrie textile, annonce de bouleversants projets d'avenir: le très prochain rattachement de l'École à l'Éducation Nationale, la construction d'une nouvelle École dans le cadre grandiose du futur Campus Universitaire, l'adaptation de l'enseignement dans le domaine des sciences et des méthodes de travail, etc. Mais par ailleurs, la sélection d'admission des élèves se complique car le niveau général en fin des études secondaires semble être en baisse alors que les bons éléments ont un plus grand choix pour poursuivre leurs études et que notre formation est devenue supérieure. Paul WINTER, président des Anciens, après une visite de l'École de Reutlingen dans le cadre de V.D.I., déclare à cette A.G. que notre École pourrait faire au moins aussi bien que celle de Reutlingen qui, rattachée à l'Université de Stuttgart, compte 700 élèves dont 40 % d'étrangers et dispose d'installations et de matériels ultramodernes, dont certains de provenance française qui n'existent pas à l'École de Mulhouse. "Nous devons faire davantage de publicité pour notre École".  

Ce rattachement tant souhaité n'arrive pourtant pas rapidement. En 1960 le nouveau programme d'études de l'École est inséré, pour la première fois depuis la guerre, sous forme de page publicitaire dans la revue des Anciens qui s'appelle alors "Les Annales Textiles" (Annexe N° 11). A cette époque, sous la Direction de Victor HILDEBRAND, le corps enseignant est renforcé et en grande partie renouvelé : RENARD, DETHOOR et THEILLER pour la filature coton, HUSER puis LUDWIG pour la filature laine, HANN, KIRSCHNER et BURGER pour le tissage, PAPEGAY, DUNGLER et HILD pour la maille, SPECKLIN pour les nontissés, SCHUTZ et HABERBUSCH pour la métrologie et les matières textiles, SCHUTZ et J. DUNGLER pour la chimie et l'ennoblissement, BRAUN pour la mécanique et le dessin industriel, CALLOT, JUNG, LUDWIG, FISCHBACH pour la physique et la physique industrielle, etc. Cet effort de renouvellement du corps professoral se poursuivra et quelques années plus tard, François RENNER pour le tissage et R. PETITEAU pour les sciences de l'ingénieur viendront renforcer l'équipe enseignante permanente.

A la même époque, le vice-président délégué du Conseil d'Administration MONNIER déclare "l'École ne peut plus demeurer indépendante dans une ville qui a vocation universitaire ; comme l'École de chimie, nous avons choisi le rattachement à l'Université". A l'A.G. des Anciens de 1964, on s'impatiente car la promesse faite en juin 1958 n'était toujours pas réalisée. Au moment où un membre du C.A. de l'École répond à un étudiant "l'École sera sans doute fermée" et où un recteur estime que "l'École n'avait pas rang universitaire", Victor HILDEBRAND souligne que "personne n'accroche ses soucis au-dessus de sa porte" et console les impatients en rappelant que le rattachement de l'École de Chimie a bien duré dix ans, de 1947 à 1957.

En fait, le principal obstacle à la prise en charge de l'École par l'Éducation Nationale est essentiellement d'ordre pédagogique. Déjà en 1954, à l'instigation du Ministère et de la Commission des Titres d'Ingénieurs, le professeur MAILLARD, Inspecteur général de l'Enseignement Textile Supérieur est chargé d'un audit pédagogique de l'École. Il s'intéresse davantage aux niveaux mathématiques et scientifiques classiques qu'aux connaissances spécifiquement textiles des élèves qu'il interroge. Suite à son rapport, il est décidé de maintenir l'habilitation de l'École à délivrer le titre d'ingénieur textile. Mais en 1962-63 le Ministère et la Faculté des Sciences de Strasbourg à laquelle est rattaché le tout nouveau Centre Universitaire de Mulhouse, jugent insuffisant le niveau de l'École. De plus, le maintien d'une formation de Techniciens supérieurs, parallèle à celle des Ingénieurs, est fort mal vu à Strasbourg. C'est pourquoi, sur conseil du professeur BENOIT, doyen de la Faculté des Sciences de Strasbourg, le professeur Jean-Baptiste DONNET, futur Directeur de l'École Supérieure de Chimie de Mulhouse, avec l'appui de la S.I.M. présidée par Bernard THIERRY MIEG, demande à Richard SCHUTZ, professeur à l'École Supérieure de Chimie et à mi-temps à l'École textile (de 1951 à 1960), d'élaborer un nouveau programme pédagogique plus conforme "au niveau et à l'esprit universitaires".  

1966 : École Supérieure des Industries Textiles

C'est grâce aux efforts conjugués de toute une équipe comprenant le Directeur de l'École Supérieure de Chimie et du Centre de Recherche de la Physico-Chimie des Surfaces Solides Jean-Baptiste DONNET, le Conseil d'administration de l'École sous la présidence de Jean-Mathias HORRENBERGER, la Société Civile de l'École textile sous la présidence de Pierre SIEGER, la Municipalité de Mulhouse, la Direction de l'École, l'Association des Anciens élèves présidée par René DUC et les milieux politiques que put être annoncé à l'A.G. des Anciens de juin 1966 : "Nous voilà arrivés au but ! La reconnaissance officielle du rattachement à la Faculté des Sciences de l'Université de Strasbourg le 26 mai 1966, confirmée par le décret du 26 août, de notre École qui s'appellera dès lors École Supérieure des Industries Textiles de Mulhouse" (Annexe N° 12). Désormais, les diplômes seront signés par le Recteur de l'Académie de Strasbourg.

Au cours de cette mémorable Assemblée, Victor HILDEBRAND se lève pour tenir "son dernier discours, arrivé au terme d'une longue période de travail riche en soucis, misères et tribulations, où rien n'a manqué, même pas les fins de mois difficiles. Mais les résultats obtenus par les élèves pèsent davantage dans la balance". A cette occasion, son successeur, Jean René MEUNIER, appuyé par Jean-Baptiste DONNET, se présente "comme un néophyte électricien-électronicien, parachuté au milieu des textiles en suivant sa destinée".

Outre l'acquisition d'équipements modernes notamment dans le domaine de métrologie et des sciences de (ingénieur, le nouveau Directeur jean René MEUNIER mène une politique de changements profonds dans le fonctionnement de l'École, en particulier sur le plan pédagogique selon le projet agréé. Le niveau scientifique des enseignements est considérablement rehaussé et des disciplines nouvelles relevant des sciences de l'ingénieur introduites, tandis qu'on s'achemine vers la suppression de la section des Techniciens.

Désormais il ne s'agissait plus tellement de dispenser des connaissances technologiques encyclopédiques des processus textiles traditionnels mais de former des ingénieurs susceptibles d'analyser les processus, de procéder aux changements, de concevoir les innovations, ceci dans le cadre d'une rentabilité industrielle. La formation comprend dès lors :

- des compléments en sciences et techniques fondamentales pour ingénieur,

- les sciences et techniques spécifiquement textiles,

- une initiation aux problèmes de l'entreprise et de la recherche, suivie d'un stage en entreprise de trois mois en fin de scolarité,

- une initiation en sciences humaines, sociales, économiques et de communication.

L'arrêté ministériel du 4 avril 1969 officialise et impose l'introduction de disciplines nouvelles : électrotechnique et électronique, métallurgie structurale et plasturgie, langues vivantes et informatique, statistiques appliquées, gestion et marketing, etc... Le nouveau programme est publié dans les Annales Textiles d'avril 1968 (Annexe N° 13). Mai 1968 a aussi des influences sur l'organisation et le fonctionnement de l'École ainsi que sur la composition du Conseil d'Administration (plus forte représentation du corps professoral, de l'Université, des étudiants, etc.).

1971 : le creux de la vague 

En dépit du rattachement à l'Université Louis PASTEUR de Strasbourg, l'École voit sortir cette année la plus faible promotion de son histoire avec 2 ingénieurs et 7 techniciens supérieurs, comme en 1862 après un an de fonctionnement. Avec la nouvelle organisation, la plupart des candidats sont recrutés sur concours au niveau des classes préparatoires aux Grandes Écoles Scientifiques (Mathématiques Spéciales) dans les centres d'examen de Paris et de Mulhouse, les candidats sur titre détenant un D.U.E.S. (D.E.U.G.) ou D.U.T. Mais les candidats ne connaissent guère l'E.S.I.T. de Mulhouse ce qui explique le recrutement médiocre. Une nouvelle fois, le Ministère envisage d'abandonner l'École et de la fermer.

C'est compter sans la fougue et la ténacité de Pierre SIEGER, devenu président des Conseils d'Administration de l'École et du Centre de Recherches Textiles. II s'engage non seulement en faveur du maintien de l'École, mais de son développement avec une nouvelle construction, les anciens bâtiments en bordure du canal de décharge de l'Ill étant inadaptés et devenant un danger public. Richard SCHUTZ, directeur des Études depuis 1974, secondant en 1975 Jean René MEUNIER en tant que Directeur-adjoint, relève le défi, veut faire de l'École de Mulhouse "la meilleure école textile de France, sinon du monde" et donne une nouvelle impulsion à ces démarches. Il développe la recherche pour former des enseignants ingénieurs textiles-docteurs. Afin d'attirer à l'École des élèves candidats, il prend son bâton de pèlerin pour faire connaître l'industrie textile à l'Amicale des Professeurs de "taupe" : "L'industrie textile française représente 45 milliards de chiffre d'affaires annuel comparable à celui de l'industrie pétrolière et devançant celui de l'industrie automobile. La France est le troisième constructeur de matériel textile du monde, dont 80 % se situe dans le Haut-Rhin. Le textile est à la base de nombreux progrès techniques, tels le différentiel équipant tous les véhicules automobiles du monde, la chromatographie analytique, l'automation, les cartes perforées utilisées en informatique de première génération, etc..." D'autre part, comme l'Institut Universitaire de Technologie de Mulhouse ouvre une section "Génie Mécanique à Orientation Textile", notre École perd alors la section des techniciens supérieurs dont la dernière promotion sort en juin 1973. Cette option ne figure plus au programme (Annexe N° 14).

Toute cette nouvelle dynamique contribue à l'amélioration de l'image de l'École. Les deux centres d'examen enregistrent au concours d'entrée quelque 120 demandes, ce qui permet d'espérer atteindre l'objectif prévu de nouvelles promotions de 30 à 40 ingénieurs. En 1975, le Secrétaire d'État aux Universités en tournée à Mulhouse pour inaugurer la création de l'Université de Haute-Alsace, annonce la nationalisation des deux Écoles d'ingénieurs de Mulhouse et leur intégration prochaine à la nouvelle Université, assortie de la promesse d'une contribution de l'État à l'édification des nouveaux bâtiments de l'École !  

En 1976, Richard SCHUTZ quitte la chaire qu'il occupe à l'E.S.C.M. pour prendre à temps complet la direction de l'École. "Les difficultés pour faire nationaliser notre École sont innombrables, reconnaît le nouveau Directeur à l'A.G. des Anciens de 1977, le budget n'est assuré que pour 50 % par l'État, l'École ne compte aucun fonctionnaire, les anciennes structures administratives sont à modifier, les sciences textiles ne sont pas reconnues comme discipline universitaire, etc...". Il fallait la ténacité, l'acharnement voire une dose de folie des responsables pour ne pas se décourager. En effet, ce n'est qu'au bout d'une quarantaine d'entrevues avec les différentes instances ministérielles à Paris, sans compter les innombrables démarches auprès es industriels, de la Ville, du Département, de la Région, etc..., que le financement de cette construction fut assuré.  

1977 : l'E.N.S.I.T.M. dans sa nouvelle version

Par décret du 5 avril 1977 l'École de Mulhouse, seule École en France dans cette spécialité, est érigée en ÉCOLE NATIONALE SUPÉRIEURE DES INDUSTRIES TEXTILES en tant qu'Unité d'Enseignement et de Recherche (U.E.R.) de l'Université de Haute-Alsace formant des ingénieurs E.N.S.I. (bac + 5) et permettant à des chercheurs de préparer, à l'issue d'un Diplôme d'Études Approfondies (D.E.A.) en Sciences des fibres textiles et des matériaux macromoléculaires (devenu en 1984 "Génie des processus et des matériaux textiles et paratextiles"), un Doctorat en Sciences de l'Ingénieur de l'Université de Haute-Alsace.

Avec l'État assurant 80 % du budget vers 1982, il revient à la Direction et à la Présidence du Conseil d'Administration de l'École de collecter le solde auprès du Syndicat Textile, des Collectivités et par la Taxe d'apprentisage. On élimine enfin les problèmes matériels et financiers tout en accroissant considérablement la paperasse (rapports, budgets, contrôle, etc...). A cause des problèmes juridiques relatifs au transfert de propriété et des difficultés administratives concernant le paiement du personnel, est créé, à côté de la Société Civile, un nouvel organisme "Association pour le développement de la formation et de la recherche textile" (A.D.F.R.T.) présidé par Pierre SIEGER qui sera l'employeur pour le compte de l'Université du personnel de droit privé de l'École (Annexe N° 55).

La nouvelle maison est inaugurée en décembre 1977 par le Directeur du cabinet ministériel BEGUIN. A cette occasion, le professeur J.B. DONNET, président de l'Université du Haute-Alsace, fait l'éloge du travail accompli en commun : "Là où il y a une volonté, il y a un chemin". L'A.G. des Anciens s'y tient pour la première fois en juin 1978. Une nouvelle page de l'histoire de l'École est tournée.

Sous la Direction de Richard A. SCHUTZ, l'équipe pédagogique est renforcée par les professeurs universitaires DUPUIS, SIGLI, WOLFF et VIALLIER pour le développement des activités de recherche. Les premiers diplômes d'ingénieur E.N.S.I.T.M. sont délivrés à la promotion 1980. L'École est également habilitée à décerner des diplômes d'ingénieurs dans la spécialité textile pour les cas de promotion sociale. Le recrutement des élèves se fait désormais par la voie du Service des Concours Communs Polytechniques et un quota réservé aux titulaires d'un diplôme universitaire de technologie (D.U.T) et après étude de leurs dossiers (Annexe N° 15). C'est aussi en 1980 que l'ENSITM dans le cadre de l'Université de Haute Alsace, devient le seul établissement français à être habilité à délivrer un doctorat en la spécialité des sciences textiles, ce qui lui vaut la venue d'étudiants d'autres Écoles supérieures textiles de France, mais aussi de plusieurs pays étrangers (Allemagne, Égypte, Italie, Maroc, Tunisie, Vietnam, etc.) pour préparer leur D.E.A. et/ou leur thèse à l'École. 

La collaboration régionale et nationale est également intensifiée.

Liaison plus étroite avec le Centre de Recherche Textile de Mulhouse (C.R.T.M.) affilié à l'Institut Textile de France, créé en 1947 à l'initiative de l'École de Chimie de Mulhouse. 

- Création en décembre 1974, à l'instigation du président Pierre SIEGER sous le patronage du Centre de Recherches Textiles et de l'École, d'un Atelier Expérimental Textile de la Région Est (A.E.T.R.E.), accueilli fin 1977 à l'École, regroupant des professeurs, des industriels et des constructeurs de la région pour définir et entreprendre ensemble des programmes de recherche, notamment avec le concours d'élèves D.E.A. et doctorants de l'École.

- A la même époque, accueil dans les sous-sols de l'École et collaboration étroite avec le Centre de Recherche Mécanique Appliquée au Textile (C.E.R.M.A.T.), créé à l'initiative des constructeurs alsaciens de matériel textile et dirigé par Michel AVEROUS, professeur à l'École.

- Fondation d'une Association pour le Développement des Écoles Supérieures Textiles (A.D.E.S.T.). regroupant une trentaine d'établissements français, dont les cinq Écoles d'ingénieurs, des Lycées techniques, l'Union des Constructeurs de Matériel Textile Français, l'Institut Français de la Mode, etc, avec siège à l'École de Mulhouse et secrétariat assumé par VIALLIER.

Toutefois, étant donné l'effet négatif sur les jeunes des articles de presse relatant les licenciements dans l'industrie textile, le problème du recrutement des élèves reste préoccupant. Un nouvel effort de publicité est entrepris dans les années 1980 : visite à l'École des professeurs des classes spéciales et portes ouvertes en 1982, interview à FR3, articles dans les journaux locaux et nationaux, à la radio et sur les chaînes de télévision, etc. Un classement des écoles d'ingénieurs publié dans la revue Le Point de novembre 1982 place l'E.N.S.I.T.M. au vingtième rang de toutes les écoles, loin devant les autres écoles textiles. "Pourtant, déclare Claude WOLFF qui assure la Direction de l'École à partir de janvier 1987 à l'A.G. des Anciens de 1987, l'image de notre École dans le public, à travers le recrutement des jeunes fondé sur le concours national des E.N.S.I. de Physique et de Mécanique, n'est pas bon, car seuls les étudiants reçus dans les deux derniers déciles entrent à l'E.N.S.I.T.M.". 

Un rayonnement international

Richard SCHUTZ s'active pour faire connaître l'École à travers le monde. Les relations internationales doivent demeurer un des atouts majeurs de l'E.N.S.I.T.M.

En février 1980, l'E.N.S.I.T. de Mulhouse accueille le siège du Collège International de l'Enseignement TEXtile (C.I.E.TEX.), structure de liaison entre les 80 écoles textiles du monde dont SCHUTZ, plus tard VIALLIER, assume le secrétariat. Cet organisme  s'occupe spécialement de l'étude des équivalences internationales des diplômes et des échanges inter universitaires d'étudiants et de professeurs, etc... Outre la diffusion de plus de 300 publications, de nombreuses conférences sont prononcées en Europe (Allemagne, Belgique, Espagne, Grande Bretagne, Italie, Pologne, Portugal, Suède, Suisse, Tchécoslovaquie), aux États-Unis (Berkeley, Clemson, Raleigh, Triangle Resaerch, etc.), au Canada (Montréal, Ottawa, etc.) au Brésil, à Mexico, en Australie, en Nouvelle Zélande, au lapon (Kyoto et Tokyo) et en Chine (Hangshou, Souchou, Shanghai et Pékin, etc.). Au Portugal, l'E.N.S.I.T.M. devient le mentor et le modèle de l'Enseignement Supérieur Textile à Covilhà et à Porto-Guimarès. En Italie, la Città degli Studi de Biella s'inspire également du "modèle mulhousien". En Turquie le programme pédagogique de la Faculté Textile du l'Université d'Izmir est inspiré de Mulhouse, laissant aux Allemands la construction des bâtiments. L'École  prend en charge la formation des futurs cadres d'une usine textile construite par les Allemands en Algérie. En juin 1980 le 4e Symposium International sur l'Encollage Textile (S.I.E.T.) est organisé à Mulhouse avec 362 participants. En automne 1986, à l'occasion du 125e anniversaire de l'École, est organisé sur le campus universitaire de Mulhouse, parallèlement au 7e S.I.E.T., le Premier Colloque International des Nouvelles Technologies réunissant plus de 600 participants venus d'une trentaine de pays du monde entier.

A partir de 1987, les directeurs successifs poursuivent cette politique d'ouverture internationale de l'École tant dans le cadre des contrats européens que hors CE.E.. EUROTEX, une institution européenne de coopération entre l'université et l'industrie regroupant des membres dans huit pays européens est fondée en 1990 par treize Universités, écoles ou centres de recherche textile européens, dont l'E.N.S.I.T.M., avec siège à l'Université de Minho au Portugal. En 1992 est créé à l'École un département des relations internationales pour gérer les échanges d'enseignants et d'étudiants (Allemagne, Angleterre, Belgique, Bulgarie, Canada, Grèce, Hongrie, Israël, Italie, Maroc, Mexique, Pologne, Portugal, Suisse, Tchécoslovaquie, Tunisie, Ukraine, Vietnam, etc...). Le Royaume du Maroc choisit le "modèle mulhousien" pour créer, en étroite collaboration pédagogique avec l'E.N.S.I.T.M., deux écoles de techniciens supérieurs à Casablanca et à Tanger et une École supérieure d'ingénieurs textiles à Casablanca.

Formation pluridisciplinaire de haut niveau

A partir des années 1980, les élèves-ingénieurs textiles se voient offrir la possibilité de préparer simultanément la licence en Électrotechnique, Électronique et Automatismes (E.E.A.) de l'UHA.

Entre 1977 et 1995, 68 thèses de doctorat ont été soutenues à l'École sous la direction effective des professeurs de l'E.N.S.I.T.M. et en 1995196, 17 étudiants préparent un D.E.A. et 18 thésards un doctorat. Pour la première fois en 1986, un prix A.D.R.E.R.U.S. (Association pour le Développement des Relations entre l'Économie et la Recherche auprès des Universités de Strasbourg) est décerné à une thèse de docteur-ingénieur textile.

Créé en 1980, le Laboratoire de Physique et Mécanique Textile de l'E.N.S.I.T.M. (L.P.M.T.) , associé au C.N.R.S. - Jeune Équipe en 1986, devient en mai 1988 comme seul laboratoire textile en France, L.P.M.T.- Unité de Recherche associée au C.N.R.S., dirigée successivement par les professeurs Danielle SIGLI, Claude WOLFF et Pierre VIALLIER. 

En 1983, une formation d'ingénieur en confection-habillement, inexistante en France, est envisagée et ouverte en novembre 1985. A partir de ce moment, les élèves avaient le choix entre deux options en 3° année: ingénieur en fabrications textiles ou ingénieur en confection-habillement. En 1989, on institue aussi une section spéciale permettant aux ingénieurs diplômés d'autres écoles d'obtenir en une année un diplôme "ingénieur E.N.S.I.T.M. spécialisé en confection-habillement". La même année, la Conférence des Grandes Écoles accrédite l'École pour délivrer le Mastère Spécialisé en Ingénierie Confection-Habillement et plus tard en Ennoblissement textile, une formation intensive en une année accessible aux titulaires d'un diplôme scientifique français ou européen de niveau Bac + 5).

Le Syndicat Textile d'Alsace et PROTEXTAL créent en 1986 l'InStitut Textile d'Alsace (IS.T.A.) formant en deux ans des chefs de produits textiles en recrutant des jeunes de niveau D.U.T. ou B.T.S. Ce fut l'E.N.S.I.T.M. qui prit en charge toute la formation technique du programme de PISTA.

Les étudiants, de leur côté, fondent en 1987 avec le soutien de la Direction de l'École une Junior-Entreprise puis Tex-Junior proposant des prestations payantes aux industriels. Sur cette lancée, ils éditent un journal trimestriel "Crac". Ils inaugurent également les voyages d'étude en fin de troisième année dans les pays étrangers lointains, U.S.A., Chine, Mexique, Brésil, Vietnam, Indes, Thaïlande, etc.

En 1989 un Centre de Formation des Professeurs de l'Enseignement Technique dans les spécialités "Textile-Cuir-Habillement" (matériaux souples) est ouvert à l'E.N.S.I.T.M. dans le cadre de l'Université de Haute-Alsace et l'Institut Universitaire de Formation des Maîtres de l'Académie de Strasbourg pour délivrer le Certificat d'Aptitude au Professorat de l'Enseignement Technique (C.A.P.E.T.).

A partir d'octobre 1987, l'École organise annuellement avec un certain cérémonial une rentrée officielle en présence des présidents de l'Université de Haute-Alsace, du Conseil d'Administration de l'École, de la Société Civile de l'École, des Anciens élèves, ainsi que du directeur et du personnel administratif, des professeurs et chercheurs, thésards et étudiants. En septembre 199, Auguste KIRSCHNER major de la promotion 1955 et professeur d'Université, est nommé à la Direction de 'l'École, poste qui reviendra ainsi, pour la première fois depuis 25 ans, à un Ancien de l'École. En septembre 1995 il passe le flambeau à son directeur-adjoint Marc RENNER, également ancien élève de l'E.N.S.I.T.M., major de promotion en 1981 et professeur d'Université.

Un événement universitaire notable eut lieu en 1992 : le titre de Doctor Honoris Causa est décerné à un enseignant vacataire de l'E.N.S.I.T.M., le professeur Ron POSTLE de l'Université australienne de New South Wales.

Un audit approfondi de toutes les composantes de l'Université de Haute-Alsace, donc également de l'E.N.S.I.T.M.,. est effectué en 1993 durant les années 1991 à 93 par le Comité National d'Évaluation des Universités, aréopage indépendant du Ministère de l'Éducation Nationale (Annexe N° 16). Ce rapport aux conclusions particulièrement élogieuses, lu par le directeur Auguste KIRSCHNER au cours de l'A.G. des Anciens de juin 1993, devient un atout de poids pour l'avenir de notre École.

Une troisième option de la formation d'ingénieurs textiles dans la spécialité Traitements et Textiles Techniques (T3) (Annexe N°17). Cette option complète judicieusement les deux autres mentions existantes "conception et fabrications textiles" et "confection-habillement".

L'équipe enseignante des années 1995 est composée des professeurs KIRSCHNER, Marc RENNER, THEILLER, HUA VAN MINH pour la filature, DRÉAN et RUÉ pour le tissage, BUENO et TOILLON pour la maille, DURAND, ADOLPHE et TOILLON pour la confection, BRINKERT pour les nontissés, VIALLIER, LALLAM, JORDAN et SCHACHER pour la chimie textile et l'ennoblissement, LE MAGNEN, ADOLPHE et SCHACHER pour la métrologie, LE MAGNEN pour les matières textiles, DUPUIS, CAMILLIÉRI, BRAND, FREYBURGER, LALLAM et HUA VAN pour les sciences de l'ingénieur, etc..., la direction des recherches étant assurée par Pierre VIALLIER et la direction des études par Dominique DUPUIS. En annexe N° 18, le comité d'administration de 1995.

Innovation créative et communicante destinée à la nouvelle promotion d'élèves ingénieurs de 1° année depuis la rentrée 1994 : un week-end d'intégration dans un chalet des Vosges auquel participent le personnel enseignant et administratif de l'École ainsi que des anciens élèves. Buts : développer l'esprit d'équipe, faciliter l'intégration à l'École et faire prendre conscience de l'implication de leur futur métier d'ingénieur.

La liste des onze Directeurs de l'École de 1861 à 1996 est donnée en annexe N° 19 et la photographie de quelques-uns en annexe N° 20, les noms des Présidents du Comité ou Conseil d'Administration depuis l'origine en annexe N° 21. On relève que la longévité de fonction des directeurs a considérablement diminué au fil des 135 ans d'existence de notre institution. Le record de 27 ans est tenu par F. ORTLIEB. A moins que l'on compte également les fonctions professorales de Victor HILDEBRAND, appelé affectueusement Bouboule par les élèves, qui cumulerait alors 39 années au service de l'École. Mais à ce compte-là, Auguste KIRSCHNER serait le champion hors concours avec plus de 41 ans de fidélité à l'École.  

 

26. Bâtiments et matériel

Vu le développement rapide du nombre d'élèves, le local primitif, loué en 1861 pour trois ans ayant permis le démarrage de l'École, s'avère rapidement trop exigu. Dans son rapport du 29 juillet 1863 à la S.I.M., Henri THIERRY, président du Comité de Surveillance de l'École de Tissage mécanique souligne la nécessité d'un local plus vaste spécialement affecté à l'École de Tissage, car "être propriétaire de l'immeuble donne une forcé extraordinaire à l'institution qui l'occupe". Le Comité d'administration envisage donc la construction d'un bâtiment définitif. Une Assemblée générale des premiers souscripteurs est convoquée le 24 février 1864 en vue d'une augmentation du capital. On forme une nouvelle Société Civile avec un fond social de 76.000 F divisé en 76 parts de 1000 F réparties entre 56 actionnaires mais qui ne touchent aucun dividende.

1865 : la première École Textile 

Un bâtiment à étage d'environ 375 m2 avec une petite annexe pour la chaudière est édifié en 1864 sur un terrain cédé à des conditions avantageuses par André KOECHLIN & Cie entre la rue Gay-Lussac et le canal de décharge (Annexe N° 22 et 23). C'est le début d'une longue histoire d'un immeuble qui ne cessera d'être agrandi et aménagé, selon l'évolution du nombre des élèves et des besoins de l'enseignement, près d'une dizaine de fois pendant plus d'un siècle. En 1977, l'École quittera sa vieille maison d'origine pour un nouvel espace sur le campus universitaire créé entre temps sur les hauteurs des collines de l'Illberg.

Les travaux de construction sont terminés en 1865 et la section de tissage s'y installe d'abord. L'équipement est renouvelé, à la mesure de la nouvelle maison. Une machine à vapeur à condensation de 12 chevaux, 28 métiers à tisser comprenant les systèmes mécaniques les plus répandus, excentriques, ratières, jacquard, déboîtage, etc. et le matériel de préparation, bobinoirs, cannetières, ourdissoirs, pareuses, etc... A partir de 1867, l'atelier expérimental industriel de 40 métiers à tisser, travaillant à façon, y fonctionne également jusqu'en 1870.

En 1866 on ajoute au sud du bâtiment principal à étage un atelier en deux sheds de 400 m2 pour y installer, suite à la fusion des deux Écoles, la filature déménagée de l'ancien local loué.

Après avoir repris sa vitesse de croisière après les années difficiles de 1870, un grave problème préoccupe les dirigeants de l'École, la vétusté du parc de machines datant pour la plupart de 1861 pour le tissage et de 1864 pour la filature. En 1878 on fait un nouvel appel aux constructeurs tant alsaciens et français qu'étrangers "leur demandant de contribuer au renouvellement et à la livraison de matériel complémentaire de l'École, soit en faisant dons de leurs machines ou en les vendant à prix réduit, soit en les exposant". En 1884, on ajoute deux sheds, soit environ 400 m2, pour installer beaucoup de nouveau matériel de provenance internationale. Pour la filature, construction A.K.C. devenu entre temps S.A.C.M., constructions anglaises DOBSON & BARLOW, HOWARD & BULLOUGH, CURTIS Sons & Cie, Samuel BROOKS, DICKSON, Robert HALL, Georges HODGSON, garnitures de cardes lames WALTON, John HYDE, montage et aiguisage de garnitures de cardes HORSFALL & BICKHAM, DRONSFILED, courroies POULAIN, peignes extensibles Charles TROENDLÉ, tubes et brochettes en bois STRENLÉ, temples mécaniques LATSCHA, tubes en papier MOREL & MOTSCH, SCHAFFHAUSER, machines-outils avec tour à fileter et perceuse, HEILMANN-DUCOMMUN, STEINLEN, appareils de laboratoire ULLMANN, etc. Pour le tissage, métiers à tisser et ratières HAHLO & LIEBREICH, HODGSON, WITHESSMOTH, S.A.C.M., Construction de Bitschwiller, HACKING, SUMNER, TATTERSAL & HOLDSWORTH, VERDOL, BROOKS, etc. En 1891, la S.A.C.M. a renouvelé tout son équipement et MERTZ de Bâle installe des appareils d'humidification et de ventilation. Un peu plus tard, avec l'enseignement de la laine, on s'équipe également d'un assortiment de machines S.A.C.M. travaillant la laine peignée et vers 1896, d'un assortiment de laine cardée. La vieille machine à vapeur est remplacée par un moteur neuf d'un autre modèle. D'autre part, avec la vulgarisation de l'emploi de l'électricité, on envisage dès 1894 d'installer "la transmission de force par l'électricité où chaque métier à tisser est mû par son moteur spécial". Ce qui est réalisé quelques années plus tard en même temps que la production de l'énergie électrique par une dynamo-génératrice de 65 volts et 50 ampères mue par une machine à gaz pour faire tourner 6 moteurs de métiers à tisser. De cette façon, à l'étude pratique de la chaudière et du moteur à vapeur, s'ajoute celle du moteur à gaz et de la machine électrique.

Après l'Exposition de Paris de 1900 (industrie, sciences et arts, éducation et enseignement), l'École s'enrichit de plusieurs machines exposées cédées gracieusement à l'École par les constructeurs. Un nouvel appel est lancé pour compléter le matériel de tissage de laine, l'achat de deux métiers soie avec appareil jacquard lyonnais à grande vitesse, un métier à tapis et un bobinoir américain. Au début du siècle, la S.A.C.M. met en dépôt une peigneuse dernier modèle et remplace le self-acting coton puis le banc-à-roches en gros. GRUN et SCHLUMBERGER de Guebwiller fournissent une peigneuse et d'autres machines pour la laine.

En 1912 on construit une loge pour le portier, une buanderie pour supprimer celle installée à la cave du bâtiment principal et des vestiaires avec W.C. pour les élèves. La machine à vapeur est définitivement remplacée par un moteur électrique.

Durant la fermeture forcée de l'École pendant la guerre de 1914 à 1918, on en profite pour améliorer l'organisation des immeubles, installer le chauffage à l'eau chaude et l'éclairage électrique.

Importants agrandissements entre 1920 et 1925 avec le doublement des quatre sheds existants pour la filature, la nouvelle section de bonneterie et la construction d'un nouveau tissage, chacun avec une salle de cours adjacente (Annexe N° 24). La souscription ouverte début 1920 atteint en 1922 la somme de 385.000 F pour un coût se montant à 470.000 F. On comptait sur un solde de liquidation du Comptoir des Chambres de Commerce d'Alsace-Lorraine, alimenté avant la guerre par l'industrie alsacienne, mais l'État l'avait de suite accaparé. Le matériel de tissage quitte l'étage du grand bâtiment pour son nouveau local. Celui-ci est transformé en grand amphithéâtre de 132 places. Désormais, les ateliers à eux seuls couvrent une surface de 2500 m2 avec les machines les plus récentes en filature, préparation, tissage, bonneterie, laboratoire, etc. en provenance de N.S.C., S.A.C.M., CROUZET, SCHWEITER, Bitschwiller, etc... Les quatre salles de cours atteignent 350 m2 de superficie.

Des travaux d'aménagement d'un laboratoire de chimie et d'un amphi-labo de physique sont entrepris en 1938 en même temps que l'acquisition de nouveau matériel de laboratoire. Une nouvelle extension de ces laboratoires prévue en 1939 devait servir également de Centre de recherche textile permettant de doter notre industrie alsacienne d'un outil de travail susceptible de lui rendre d'indispensables services.

En 1951, l'École agrandit son atelier de tissage par un nouveau bâtiment en quatre sheds ultramodernes de 1000 m2 et y installe une salle de cours, un petit atelier d'ajustage et un nouveau laboratoire de métrologie textile en collaboration avec le Centre de Recherches Textiles de Mulhouse nouvellement créé. Cette extension, conçue par l'architecte mulhousien SPOERRY et construite par ZAHM et GYSPERBER pour un coût total de 35 M F, financée par l'industrie textile régionale, les Chambres de Commerce, la ville, le département et l'Enseignement Technique, est inaugurée en 1952 par DISSLER (dont le père fut un Ancien de l'École, promo 1893), Directeur du Cabinet du Secrétaire d'État à l'Enseignement Technique.  

Le rattachement de l'École à l'Éducation Nationale, évoqué dès 1958, devrait lui procurer les moyens nécessaires à un meilleur développement. La vétusté et l'inadaptation de certains locaux et surtout les dangers que présentaient notamment l'affaissement partiel du bâtiment administratif et l'effondrement d'un morceau de la toiture de l'atelier de filature datant de 1868, contraint les responsables d'envisager une reconstruction sur le campus universitaire entre le Centre de Recherches Textiles et l'École Nationale Supérieure de Chimie, sur un terrain mis à la disposition par la Ville de Mulhouse. Ce projet est une nouvelle raison d'espérer. On estime les coûts d'un bâtiment de 4000 m2 (contre 3500 actuels) à 240 MF auxquels il faudrait ajouter 160 MF d'équipements nouveaux ce qui ferait un total de 400 ME Le budget de fonctionnement de l'École serait grossi également du fait de l'augmentation du personnel enseignant. Il faudra presque 20 ans de l'idée à la réalisation de cette nouvelle construction.

1977 : un bâtiment grandiose sur le campus universitaire

Grâce aux efforts conjugués des instances politiques et économiques, municipales et régionales, ministérielles, universitaires et industrielles, la construction de 5.918 m2 de nouveaux locaux est menée à son terme par l'entreprise SAVONITTO après la pose de la première pierre en septembre 1974 (Annexe N° 25). La rentrée scolaire dans cette nouvelle maison sur la colline de l'Illberg a lieu le lundi 17 octobre 1977. L'inauguration est faite le 9 décembre 1977 conjointement par le Recteur J. BEGUIN et le Député-Maire Émile MULLER en présence de plus de 600 personnalités, amis et visiteurs de France et de l'étranger. Quant à la vieille École du quai des Pêcheurs de 1864, les sheds de filature datant des années 1866 à 1920 sont démolis et le reste des bâtiments réhabilité pour accueillir l'École des Beaux-Arts de Mulhouse.  

En 1986, la nouvelle École s'est encore agrandie de 1000 m2 supplémentaires de salles de cours et de travaux pratiques, notamment pour abriter le nouveau département de confection. Avec l'augmentation du nombre d'élèves et de filières et la complexification des études, un nouveau projet d'extension de 2000 m2 est prévu pour les années 1997-98.

 

 

27. La grande famille des étudiants 

Après les balbutiements des trois premières années d'existence de l'école, le nombre d'élèves se stabilise entre 30 et 40 jusqu'aux événements de 1870.

Les fils de manufacturiers et les autres 

Le Comité de Surveillance de l'École observe l'évolution des étudiants en les divisant en trois catégories, selon leur origine sociale. On fait le point en 1866 :

- "les fils d'industriels qui, à leur sortie de l'École, ont leur place assurée dans les établissements de leurs parents" ; ils représentent 51 % de l'ensemble ;

- "les fils d'employés industriels, envoyés à l'École par des chefs d'établissement qui désirent faire compléter leur instruction avant de les recevoir définitivement chez eux" ; ils ne sont que 15 % ;

- "d'autres jeunes gens" - ils sont 34 % des 133 élèves réguliers considérés -, qui suivent les cours "soit par vocation, soit par désir d'utiliser dans l'industrie leurs capacités, soit dans l'espoir de trouver une place de directeur ou de contremaître".

En 1866, le Conseil d'administration de l'École relève qu'une évolution se dessine en faveur de la troisième catégorie ce qui est interprété "comme un intérêt de nombreux jeunes gens pour l'industrie textile indépendamment de leur origine et la preuve manifeste de la bonne marche de l'École". D'ailleurs, remarque-t-on, "ces jeunes de la troisième catégorie sont ordinairement placés comme directeurs, contremaîtres ou employés de tissage par l'intermédiaire de la Direction de l'École. Le chiffre de leurs appointements varie, pour les débuts, de 1500 à 2000 F par an".

A partir de cette époque on n'étudie plus ce facteur de l'origine sociale, tout en affirmant que "la Direction porte le plus vif intérêt à la catégorie des déshérités". De fait, on souligne à plusieurs reprises la charge des frais d'écolage élevés (au ﷓cours des premières années de fonctionnement de l'école, 600 F par an, correspondant à un salaire annuel d'un ouvrier) ce qui favorise, tout en le limitant en nombre, le recrutement des jeunes gens des classes aisées et élimine les enfants de parents aux moyens modestes. Pendant de nombreuses années on envisage d'attribuer des bourses d'études à des élèves, mais, faute de moyens, il fallut attendre longtemps la concrétisation de ces bonnes intentions.  

Vers la fin du XIX° siècle, l'école subit une chute du nombre de rentrées, surtout en filature à cause de la pléthore de cadres pour la filature où les jeunes diplômés végètent trop souvent pendant des années en attendant une promotion. En 1904, on offre des bourses à six élèves alsaciens (sur 21) afin de faciliter le recrutement régional. Le record annuel du nombre d'élèves avant la Première Guerre Mondiale est de 69 et 72 en 1910 et en 1911.  

Le démarrage après 1918 est impressionnant avec 57 élèves dès 1919, suivi de 122 et 119 les deux années suivantes. Le nombre d'élèves croît régulièrement pour culminer en 1929 à 163 jeunes gens de 18 nationalités différentes puis rechuter, suite à la grave crise économique et de l'industrie textile. Après un minimum de 45 élèves en 1935, on remonte à 97 élèves en 1938. Ce creux d'élèves provoque d'ailleurs pour l'industrie une pénurie de cadres qui se placent facilement. La crise internationale de septembre 1938 n'arrête pas le vigoureux élan de redressement manifesté depuis 1937, cet accroissement étant surtout dû à la section d'ingénieurs. Néanmoins elle est la cause de graves perturbations, notables retards des inscriptions, impossibilité d'obtention de visas pour plusieurs étrangers et de rattrapage de retard pour d'autres. La tension internationale en 1939 s'accentuant de jour en jour, de nombreux élèves se trouvent mobilisés et les étrangers, effrayés par l'importance du conflit qui se prépare, rentrent précipitamment dans leur pays d'origine.  

Pendant la période désastreuse de la guerre de 1939 à 1945, à peine une soixantaine de cadres sont formés sous une direction allemande d'occupation. En 1946, la présence réconfortante de 129 élèves de 7 nationalités, parmi lesquels des anciens combattants et internés, marque la pérennité de la renommée de l'École. Le nombre d'élèves augmente encore pour atteindre en 1951 le chiffre record de 188 de 12 nationalités différentes, dont 80 diplômés. Vingt ans plus tard, c'est un autre record, négatif, de 9 diplômés sortis en 1971. Depuis lors, les chiffres remontent régulièrement avec 30 à 45 ingénieurs mis annuellement à la disposition de l'industrie à partir des années 1989. En 1994, le nombre d'élèves fréquentant l'école dans les différentes filières atteint 250, ce qui pose de nouveaux problèmes d'espace.

Notons que vers 1895, l'école a déjà diplômé 1000 étudiants. Un siècle plus tard, elle a formé quelque 5000 cadres de l'industrie textile avec des variations annuelles  considérables. En annexe N° 26 on trouve un graphique de l'évolution entre 1862 et 1996 des moyennes de cinq promotions successives (ce qui écrête les pics).

Relevons également deux phénomènes sociaux remarquables: d'une part, de nombreux élèves ont fréquenté l'école textile de père en fils. Nous citerons un seul exemple, illustre, le directeur de l'école Victor HILDEBRAND (1898-1987, promo 1920) est lui-même le fils d'un Ancien, Victor HILDEBRAND, promo 1880 et deux fils ont fait leurs études à l'école (promo 1958 et 1960). D'autre part, on dit que l'Université est la meilleure agence matrimoniale. A l'école textile peu de femmes font des études, mais on relève quelques mariages d'anciens élèves.  

De tous les coins du monde

Quant à l'origine géographique des élèves, n'oublions pas que l'École fut créée en 1861 prioritairement pour les cadres de l'industrie textile alsacienne. Toutefois, on s'intéresse rapidement à l'élargissement de son recrutement, ce que l'on considère également comme un critère du rayonnement de l'institution.  

Un autre critère est celui de la réussite des élèves aux examens. Nous avons calculé par décennies (approximatives) depuis la fondation jusqu'à 1939, le nombre de diplômés comparativement au nombre d'inscrits. 

Nombre de diplômés et d'inscrits à l'école  

Année

 

1861/69

1870/79

1880/89

1890/99

1900/09

1910/14

1919/29

1930/39

Inscrits

 

220

240

220

380

480

275

1305

880

Diplômés

 

90

100

170

250

350

206

1120

704

soit en %

 

40

42

77

66

73

75

86

80

    

On relève que le nombre de diplômés est relativement faible durant les vingt premières années, soit que les jeunes arrêtaient les études en cours de route, soit qu'ils ne se présentaient pas aux examens ou qu'ils avaient échoué aux examens finaux. Une des grandes constantes pendant de nombreuses années avant 1914 est la trop faible instruction initiale des candidats, ce qui incite la Direction de l'École à prendre plusieurs mesures de collaboration avec d'autres écoles techniques et professionnelles, de créer des cours de vacances, etc. Avec les concours d'entrée systémanquement imposés, ce taux de diplômés remonte sérieusement après la guerre  1914/18. Depuis 1945, le taux de diplômés voisine autour de 90 à 95 %.  

 

Quant à la répartition de l'origine géographique des élèves (principe adopté dès la fondation de l'école), de l'Alsace-Lorraine, des autres départements français hors les trois départements de l'Est, d'Allemagne et des autres pays étrangers, voici les taux approximatifs (les bases de calcul ne sont pas toujours les mêmes), indépendants du nombre d'élèves, mais forcément influencés par lui.  

 

Années

 

1861/69

1870/79

1880/89

1890/99

1900/09

1910/14

1919/29

1930/39

 

1946/60

1961/70

1971/80

1981/94

Alsace

 

46%

27%

40%

47%

39%

39%

34%

21.7%

 

38%

13%

14%

21%

France

 

34%

40%

15%

22%

34%

38%

46%

33%

 

41%

39%

66%

56%

Allemagne

 

4%

4%

4.5%

5%

3.5%

4%

0%

0.3%

 

0%

0%

0%

0%

Autres

 

16%

29%

40.5%

26%

23.5%

19%

20%

45%

 

21%

48%

20%

23%

On constate que jusqu'à la grande crise économique de 1930, le recrutement est régional pour deux cinquièmes des élèves, répondant parfaitement au but que s'étaient fixé les fondateurs. Mais ce taux est en diminution constante, l'apport régional étant particulièrement faible de 1934 à 1939 et de 1965 à 1972. Le pourcentage élevé après la Deuxième Guerre Mondiale est dû à un recrutement local important, l'industrie alsacienne refaisant son plein de cadres.

Les élèves venant des autres départements français ne dépassent jusqu'en 1970 jamais 40 % sauf durant la décennie 1919/29 où ils sont particulièrement nombreux pendant les premières années d'après-guerre. Depuis une quinzaine d'années, suite au recrutement par concours national E.N.S.I., notre École est devenue très hexagonale, au détriment du recrutement régional et étranger. Notons que les années 1889 à 1891 n'avaient apporté presqu'aucun contingent français à cause de l'obligation de visa exigée par les autorités allemandes pour venir en Alsace.  

Quant aux élèves d'origine allemande, leur nombre oscille entre 0 et 5 %, alors qu'on aurait pu s'attendre à une "invasion" durant la période du Reichsland de 1871 à 1914, puisque la ville de Strasbourg comptait 25 % d'Allemands et Mulhouse 20 %. Au contraire, pendant les 17 années entre 1870 et 1887 on ne trouve au total que 15 étudiants allemands. On peut en conclure, d'une part que les fonctionnaires et militaires allemands installés en Alsace à cette époque n'envoyaient pas leurs fils dans une École tenue par les industriels mulhousiens (francophiles) et d'autre part, que les écoles textiles allemandes avaient la préférence de leurs concitoyens.

Le contingent d'étrangers, comparativement à d'autres écoles textiles françaises, est remarquablement élevé, à partir de 1870 entre 20 et 40 %, avec un fléchissement pour raisons politiques avant la guerre de 1914/18. Les taux importants des années 1930/39 et 1961/70 s'expliquent par des arrivées massives d'étrangers dont nous parlons plus loin. Il est, en effet, intéressant de connaître les pays d'origine de nos recrues. La liste est impressionnante.

Déjà deux ans après la première promotion, en 1864, arrivent un élève de Suède et deux Allemands, puis jusqu'en 1869 des jeunes de Suisse, Hollande, Danemark. De 1870 à 1879, en dépit de la perturbation de la guerre, en plus des nationalités déjà signalées, on trouve des élèves d'Italie, Grande-Bretagne, Belgique et Autriche. Entre 1880 et 1889, c'est le rush, car aux 9 nationalités citées s'ajoutent des jeunes de Portugal, Espagne, Bohême, Hongrie, Pologne, Brésil, Turquie, Russie, U.S.A. et en 1890 du Mexique. Si le nombre d'étrangers augmente, le nombre de nationalités ne changera plus jusqu'en 1921 où arrive un Grec, la vingtième nationalité enregistrée.

Arrivée en masse en 1929 de 211 candidats, mais après examen il n'en restera que 164 dont 72 étrangers avec un contingent de 30 Polonais. En 1932, les 45 étrangers représentent 17 nationalités différentes. Jusqu'en 1939, on ajoute aux nationalités déjà citées des ressortissants d'Égypte, Roumanie, Géorgie, Indochine, Lettonie, Syrie, Chine, Bulgarie, Iran, Yougoslavie. Cela fait 30 nationalités différentes en trois quarts de siècle.

Le redémarrage de 1945 est difficile, la première promotion de 129 élèves ne compte que 17 étrangers et celle de 1946/47 157 jeunes avec 22 étrangers. Quelques années plus tard, le nombre d'étrangers atteint la trentaine, avec une très nette prédominance d'Égyptiens, d'Italiens, de Portugais. Jusqu'en 1960 on trouve encore, outre les nationalités citées, des élèves d'Irak, Honduras, Haïti, Indes, Liban, Israël et Apatrides. A partir de 1960, changement complet de la population des étrangers avec l'arrivée massive de Vietnamiens, Marocains, Tunisiens et Algériens, outre, en plus de celles déjà citées, les nationalités du Pakistan, Éthiopie, Côte d'Ivoire, Dahomey, Ghana, Norvège, Équateur. Puis le contingent des étrangers se stabilise autour de 20 % à partir des années 1968 avec, entre autres, des étudiants de Madagascar, Cameroun, Volta, Sénégal, Afghanistan.

En annexe N° 27 nous reproduisons la photo de la plus ancienne promotion trouvée dans les archives de l'École, celle de la section filature de 1885/86 avec 1 Français, 4 Mulhousiens, 4 Italiens, 1 Suisse, 1 Hongrois et 1 Polonais.  

*               *               *

Nous venons de mettre en évidence combien la vie de l'École est dépendante des événements politiques et économiques et combien et avec quelle opiniâtreté ses dirigeants n'ont cessé d'adapter son enseignement aux exigences des besoins de l'industrie et de la science.

Il est proprement stupéfiant de constater la rapidité avec laquelle les industriels mulhousiens du XIXe siècle concrétisent leurs idées. En 1860 il n'y a ni téléphone ni électricité et les déplacements se font à la vitesse du cheval ou d'un chemin de fer balbutiant. Il leur faut à peine quelques mois, après avoir été mis devant le fait accompli du nouveau Traité de commerce franco-anglais et avoir analysé ses risques et ses conséquences, pour élaborer un projet d'école, rassembler les finances nécessaires, trouver les hommes, un local et le matériel pour créer une institution privée qui fonctionne. A la même époque, dans d'autres villes en France, il faut plus de 10 ans pour créer une École Nationale. Dans les années 1960, il faudra plus de 10 ans pour rattacher cette École privée à l'Université et bien plus pour construire un nouveau bâtiment et y emménager.

Bien évidemment, l'entreprise privée a ses limites. L'envers de la médaille, c'est la vulnérabilité financière de l'École, sa dépendance de la reconnaissance et du nombre d'élèves. Cette vénérable institution a fermé ses portes ou failli être condamnée plusieurs fois, pour des raisons économiques ou politiques, en 1874, de 1914 à 1918, en 1939, en 1945, en 1964. Le nombre de diplômés formés, critère dépendant de nombreux facteurs, est très variable, de 9 en 1862 à 9 en 1971, en passant par des pointes de 80 à 90 en 1929 et en 1948 pour se stabiliser autour de la quarantaine de nos jours. Quant au nombre d'élèves, avec les formations multiples dispensées depuis les années 1980, il atteint aujourd'hui quelque 250.

L'internationalité de l'École a toujours été un atout. Dès les premières années, la fréquentation de l'École par des étrangers est importante, entre 20 et 40 %. Pendant un siècle, ce sont principalement des jeunes gens des pays européens et américains alors que durant les quarante dernières années, les étrangers viennent surtout des pays francophones d'Afrique et d'Asie. Depuis une vingtaine d'années, l'École collabore de plus en plus avec toutes les institutions du monde.  

L'évolution des outils est aussi extraordinaire que celle de l'enseignement. Si à l'origine, il s'agit surtout d'acquérir des connaissances technologiques encyclopédiques aussi proches que possibles de la pratique, de plus en plus, par le rehaussement du niveau de recrutement et de la formation polytechnique, on produit des ingénieurs, des chercheurs, des gestionnaires, des formateurs de haut niveau.  

 

Sources archivistiques